Je croirois monsieur que ma dernière lettre v͞s a tant ennuiée, ou que v͞s l'aués trouuée si ridicule que v͞s ne la jugés pas digne d'une response, si ie ne receuois de tous côtés des assurances du plaisir de v͞s auoir icy bientost.
Or ie ne puis croire que v͞s voulussiés venir voir quelqu'un a qui v͞s ne voudriés pas escrire. J'attendois cependant de v͞s des lumières donti'ay bien besoin. V͞s aurés trouué sans doutte ma question bien ridicule quand ie v͞s ay demandé coment il s'ensuiuoit que la même quantité de mouuemt subsisteroit dans l'uniuers suposé que la force des corps en mouuement soit le produit de leur masse par le quarré de leur vitesse, mais v͞s êtes maitre en Israël, et moi je suis vne ignorante, qui cherche à m'instruire, et qui tremble deuant v͞s. J'ay lu depuis que ie v͞s ai escrit ce que mr de Leibnits a donné dans les acta Eruditorum sur les forces viues, et i'y ay vu qu'il distinguoit entre la quantité du mouuement, et la quantité des forces, et alors, j'ay trouué mon compte et i'ay vu que ie n'étois qu'une bête, et que i'aurois bien dû ne point confondre deux choses très distinctes en faisant les force[s] le produit de la masse par le quarré des vitesses, mais la seule chose qui m'embarasse àprésent, c'est la liberté, car enfin ie me crois libre et ie ne sais si cette quantité de forces toujours la même dans l'uniuers ne détruit point la liberté. Comencer le mouuement, n'estce pas produire dans la nature vne force qui n'existoit pas? Or si n͞s n'auons pas le pouuoir de comencer le mouuem͞t n͞s ne somes point libres. Ie v͞s suplie de m'éclairer sur cet article. J'aye besoin de votre lettre p͞r charmer l'impatience auec laquelle ie v͞s attens. Mr de V. me prie de v͞s assurer qu'il la partage, n͞s n͞s somes faits philosophes p͞r être dignes de v͞s. Ie compte sur le plaisir de v͞s voir, et c'est alors que ie v͞s demanderai bien pardon de toutes mes questions, et de toutes mes importunités. V͞s ne pouués v͞s imaginer le plaisir que i'auray à v͞s dire moimême qu'elle est l'estime et l'amitié que ie conseruerai p͞r v͞s toute ma vie.
à Cirey ce 30 auril [1738]