Quelle opinion aurés vous de moi monsieur d'auoir été si longtems à répondre à la lettre du monde qui m'a le plus flattée, à celle que v͞s m'aués escrit l'automne dernier.
J'auois prié le p. Jaquier de vous faire toutes mes excuses, mais il n'a pas passé par Geneue en s'en retournant à Rome. Si tous mes momens étoient destinés à mon amusement et à mon instruction, ie n'aurois pas aujourd'hui des excuses à vous faire, ie vous suplie du moins d'être bien persuadé que rien ne m'a jamais autant flatté que cette lettre à laquelle i'ay été si longtems à répondre. I'espérois la faire acompagner par vn ouurage que ie comte auoir l'honeur de vous soumettre incessament, mais ie n'ai pas pu me résoudre à en attendre la fin pour vous marquer l'estime infinie que vos ouurages m'ont inspiré depuis longtems, et à laquelle votre lettre me fait joindre la reconoissance. I'en dois à mr de Meiran, puisque son obstination à estimer la force des corps par ce qu'ils ne font point, et celle de m. Jurin à défendre cet étrange paradoxe m'ont procuré l'auantage de votre comerce. L'aprobation que v͞s aués bien voulu doner à la dernière réponse que i'ay fait à ce docteur anglois, m'a enhardie à la rendre publique. Le père Jaquier a voulu absolum͞t l'enuoier à vn journal d'Italie, et i'ay pensé que puisqu'il v͞s l'auoit comuniqué, et que v͞s en étiés content ie ne pouuois plus craindre p͞r son succès.
Ce que vous me faites l'honeur de me marquer dans votre lettre sur les corps mous de l'aplatissement desquels les aduersaires ne peuuent rendre aucune raison est très lumineux et m'a fait d'autant plus de plaisir que i'auouë que le seul cas peutêtre où le principe des forces viues ne m'esclaire pas autant que ie le voudrois c'est celui de 2 corps mous qui s'arêtent après le chocq lorsqu'ils vont l'un vers l'autre auec des vitesses en raison inuerse de leurs masses. Cet exemple que v͞s aportés où 2 corps mous qui vont du même côté perdent vne partie de leurs forces dans l'introcession de leurs parties est vne preuue que lorsqu'on dit que les corps mous qui vont l'un vers l'autre s'arêtent parcequ'ils emploient leur forces à enfoncer respectiuem͞t leurs parties; on n'explique pas par des mots vides de sens vn effet dont on ne peut rendre raison. Ie v͞s enuoie vn petit escrit que mr Jurin me fit remettre il y a 18 mois par m. de Buffon qui v͞s confirmera encore dans l'idée où vous êtes; et ce me semble auec bien de la raison, que le vice de tous les raisonemens des aduersaires est qu'ils partent de ce principe très faux que des pressions égales en tems égal produisent des forces égales, et ie suis bien flattée de voir que la réponse sommaire que ie fis alors au petit escrit de Jurin, est conforme à votre manière d'enuisager la chose, car p͞r soutenir leurs principes, il embroüillent auec tant de soin la matière, que le plus pénible est de réduire leurs idées à quelque chose de précis. Quand on y est paruenu on trouue aisém͞t des solutions, mais ils se mettent tant qu'ils peuuent hors des prises de la démonstration, et c'est là le principal ou plutost le seul art de m. de Mairan dans son mémoire de 1738 qui auec vn faux air de méthode est l'ouurage le plus embroüillé que i'ai lu. Ces 2 qualités réunies firent son succès pendant quelque tems, car aucun de ceux qui sentoient bien que c'étoit vn mauuais ouurage ne vouloit se doner la peine de le débroüiller et d'en faire sentir les paradoxes. Ainsi m. de Mairan demeuroit en possession des Eloges que lui auoient donés ceux que le faux air d'exactitude qui règne dans tous ses ouurages et surtout dans celui là, auoit séduits. Si j'auois reçu votre lettre auant de répondre à mr Jurin assurément j'aurois emploié votre idée de considérer le ressort dans le bateau come celui qui peut être suposé interposé entre 2 corps a ressort qui se choquent et qu'on supose alors entièrem͞t durs, mais i'ay été obligée de me borner à l'admirer car ma lettre au docteur étoit partie quand le père Jaquier v͞s l'a comuniquée. Ie v͞s demande cependant la permission d'en faire vsage quand on réimprimera les institutions physiques, mais ce que ie v͞s demande surtout c'est de ne pas imiter mon silence, il y a trop à gagner p͞r moi dans votre comerce p͞r que ie n'aie pas vn désir extrême de le continuer. Ie v͞s promets dorénauant autant d'exactitude que i'ay eü de paresse et ie v͞s prie d'être bien persuadé que personne ne sera jamais auec plus d'estime et de considération que moi Monsieur
Votre très humble et très obéissante seruante
Breteuil du Chatellet
à Paris ruë trauersine ce 8e mai 1745
V͞s saués que m. de Maupertuis va s'établir à Berlin dont ie suis très fâchée.