à Cirey le 10e januier 1738
Je v͞s aurois escrit bien plutost, monsieur, si ie v͞s auois cru malheureux car quelque philosophie qu'on ait, et quelque supériorité que v͞s v͞s sentiés sur ceux qui ne sont pas dignes de v͞s admirer il est dur de voir triompher l'erreur et de ne retirer des trauaux que v͞s aués entrepris et consomés auec tant de constance que des contradictions, enfin on ne veut pas en France que mr Neuton ait raison.
Il me semble pourtant que grâces à vos soins vne partie de sa gloire rejaillissoit sur votre payis. Ie ne désespère pas de voir rendre vn arrest de parlem͞t contre la philosophie de mr Neuton et surtout contre v͞s. Ie crois que c'est à ses circonstances que l'on doit attribuer le refus que l'on fait de laisser paroitre les Elemens de la philosophie de Neuton en France. N͞s somes des hérétiques en philosophie. J'admire la témérité auec laquelle ie dis ͞ns mais les marmittons de l'armée disent bien, ͞ns auons battu les ennemis.
Ie suis quelque fois tentée de me réjoüir des contradictions que v͞s essuiés puis que c'est à elles que ie deuray le plaisir de v͞s voir icy. Ie v͞s suplie de me donner la préférence sur toutes les retraites et même sur le mont Valerien. Ie me flatte que la vie que l'on y mesne poura v͞s plaire. Ce qu'il y a de sûr c'est qu'il n'y manque que votre présence. Vous voilà donc grand home tout à fait, car il ne v͞s manquoit depuis longtems que des ennemis et vne cabale. Mr de V. a voulu faire luimême son compliment à son confrère. Ie ne puis désaprouuer le noble désintéressement auec lequel v͞s aués réparti sur vos compagnons les grâces qui v͞s regardoient personnellem͞t, et ie suis persuadée qu'il n'i a personne qui n'ait augmenté encore s'il est possible son estime et sa considération pour vous par cette action. Ie v͞s prie de me mander si v͞s estes content de mr de Maurepas en particulier.
I'espère que votre ouurage sera bientost imprimé s'il ne l'est pas déjà, et dès que ce chainon sera brisé on se flatte de v͞s voir à Cirey et de v͞s y admirer de prés, et vos découuertes en conoissance de cause. C'est dans cette espérance que i'ay retardé d'enuoyer mes cheuaux chercher vne berline que ie fais venir. Ie ne v͞s dis point qu'il faut attendre que le froid soit passé car ie crois que v͞s mourés de chaud àprésent. Mandés moi donc quand ie pourai v͞s enuoyer enleuer, et fixés mes espérances. Si v͞s aimés mieux vne chaise de poste v͞s en aurés vne au jour nomé. Je parle de breline parce que ie me flatte que mr Clairaut en sera, et mr Devernic aussi s'il veut. Ie suis bien reconnoissante qu'il se souuienne de moi. C'est à v͞s que i'en ay l'obligation et c'est v͞s que i'en remercie. Venés donc + Clerault + Vernic - vn prince, car ie ne les aime pas. Mr de V. reformera les 2 vers sous vos yeux. Mr du Chastellet v͞s fait mil complimens, il a p͞r v͞s toute l'admiration qu'il doit, et il v͞s désire come quelqu'un qui v͞s connoit. Mr de V. v͞s dit mil choses tendres. Pour moi monsieur, v͞s saués bien que mes sentimens p͞r v͞s ne peuuent plus augmenter, et que ie ne désire rien auec plus d'empressement que de v͞s les dire à v͞s même.
Permettés que ie v͞s adresse une lettre p͞r mr Cleraut, il ne m'a point mandé sa demeure.