à Cirey ce 2 féurier 1738

Dans l'espérance de v͞s voir bientost Monsieur ie vais tâcher de me rendre digne de v͞s, et de votre ouurage.
Ie comte sur votre parole, et j'espère que v͞s v͞s trouuerés si bien icy que v͞s n'irés point ailleurs. Ce qui est certain c'est que n͞s n'oublierons rien p͞r v͞s y retenir. Ie v͞s dois vn compliment sur la mort de ce pauure Melon, et il est bien sincère. Vn homme qui étoitvotre ami deuoit auoir du mérite, je lui en connoissois beaucoup dans son liure. Il y a tant de sots qui végètent, il est bien triste que la mort choisisse. N͞s somes très affligés à Cirey du refus de m^r le chancelier. Si m^r de V. pouuoit deuiner ce qui lui déplait dans son liure il l'ôteroit. Il faut espérer que le tems l'adoucira. L'édition d'Hollande est inéuitable mais il la retarde toujours p͞r la faire conforme à celle de Paris, si on y en veut souffrir vne.

M^r Algarotti n͞s enuoie deux Exemplaires de ses dialogues. Il y a vn espèce de visage ressemblant au mien sur les Epaules de sa marquise dans l'estampe. Ie l'attens auec impatience car autre chose est d'entendre lire vn ouurage par l'auteur ou de le lire soimême à tête reposée. Si v͞s daignés le lire v͞s le trouuerés icy. V͞s y aurés vne petite sellule come au mont Valerien, vne extrême liberté, aucun étranger, et si v͞s en voulés sortir ie ne v͞s conseille pas de prendre mon auis.

I'ay reçu il y a deux jours vne lettre de m͞e de Richelieu. C'est la première depuis sa maladie. I'en ay été très inquiète. Je la félicite du bonheur qu'elle a de v͞s voir. Ie n'ay pu deuiner le nom de l'home qui v͞s parle quelquefois de moi. Quelqu'il soit ie lui en suis bien obligée car ie ne désire rien tant que de n'être pas oubliée de v͞s, ie voudrois que tout le monde v͞s parlast de moi. Mon maitre d'hôtel m'a mandé qu'il v͞s auoit trouué chés m͞e de s^t Piere, elle deuroit bien aussi v͞s parler de moi. M^r de V. v͞s fait les complimens les plus sincères, il v͞s attent auec impatience, et m^r du Chastellet dit qu'il ira v͞s chercher. Permettés moi de v͞s faire vne question. I'ay lu beaucoup de choses depuis peu sur les forces viues, ie voudrois sauoir si v͞s êtes p͞r m^r le Mairan, ou p͞r m^r de Bernoüilly. Ie n'ay pas l'indiscrétion de v͞s demander sur cela tout ce que ie voudrais sauoir, mais seulem͞t lequel des deux sentimens est le vôtre. Le mien est de v͞s désirer et de v͞s aimer beaucoup.