1739-09-15, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à Johann Bernoulli.

Ie suis persuadée Monsieur que v͞s ne me croyés pas capable d'être à Paris p͞r vn mois et de prendre ce tems là p͞r v͞s répondre, mais ie v͞s prie d'auoir assés bonne opinion de moi p͞r être persuadée qu'il n'i a point de plaisir dans cette turbulente ville qui me soit plus agréable que votre comerce.
I'ay vu mr de Mairan, et ie v͞s auouë que ie craignois beaucoup sa première vuë, cependant cela s'est passé àmerveille. [unknwon]Ns auons diné ensemble et il n'a été question d'aucune sorte de force. I'ay diné aussi auec mr de Fontenelle et mr de Reaumur. Ie crois qu'ils sont vn peu honteux du choix qu'ils viennent de faire p͞r associé Etranger, et ie n'osoi leur en parler peur d'offenser leur amour propre.

Enfin mr de Maupertuis [unknwon]ns est reuenu. Il fera à Paris les obseruations qu'il deuoit faire à Maluoisine, où ils n'ont pas retrouué vne pierre du tems de mr Picard. [unknwon]Ns auons beaucoup parlé de v͞s Ensemble, et [unknwon]ns voudrions bien v͞s tenir icy. C'est vn souhait que ie fais dans tous les lieux où ie suis.

P͞r mr Koenig il deuient plus déraisonable tous les jours sur son départ, et ie n'espère plus le retenir, ie crois même qu'il ne retournera pas à Bruxelles auec moi. Ie ne puis deuiner quel a Eté son projet en venant chés moi, car quand même j'aurois été vn ange il m'eût Eté impossible en 3 mois de voyage et d'affaire d'aprendre ce que ie désirois de sauoir. I'ay pris son frère qui est Eleué à Cirey come mon fils, et ie n'ay rien à me reprocher sur les égards que i'ai eü p͞r Eux, et ie v͞s auouë que ie suis très piquée d'une conduitte que ie suis bien loin de m'être attirée. D'ailleurs v͞s sentés bien quel dérange[unknwon]mt et quel cahos cela a mis dans ma tête, car i'ay mêlé mes Etudes de géométrie, de logique et de métaphisique et rien de tout cela n'étant arangé dans sa place ie v͞s prie de juger quel potpouri cela produit. Il ne faudroit pas moins que v͞s p͞r le débroüiller. Ie v͞s auouë que les procédés de mr de Koenig me feroient hair tous les matématiciens et tous les suisses si ie ne v͞s connoissois pas, et il me semble que come mathématicien et come suisse, ce seroit vne belle action à v͞s de les réparer.

I'ay parlé à mr Clairaut de ce qu'il a dit sur les forces viues. Il prétend que mr de Mairan et tous les anglois conviennent de la conseruation des forces viues, mais qu'ils nient leur estimation. Ie ne sais trop coment ils arangent tout cela mais ie crois qu'ils ne voudroient tous qu'un moyen honnête de se tirer d'affaire.

Mr de Koenig assure toujours que la traduction du liure de mr de Maupertuis est faitte, mais je ne veux plus me mêler de ses affaires. Mr de Voltaire v͞s fait mille complimens. Ie comte retourner incessa[unknwon]mt à Bruxelles p͞r n'en plus sortir qu'après la fin de mes procès. I'auray cependant le tems de receuoir encore de vos nouuelles et ie m'en flatte.

I'ay bien Enuie de v͞s donnervn bon Exemple et de finir ma lettre sans compliment. I'espère que v͞s voudrés bien m'imiter, mes sentimens p͞r v͞s Monsieur sont bien au dessus des complimens. Ne m'oubliés pas auprès de mrs Bernoulli.