ce 12e januier 1729 [1739]
Mon cher ami vos lettres rendent toujours le calme à nos sens.
V͞s deués auoir àprésent le mémoire de votre ami, v͞s veré que n͞s auons préuu vne partie de ce que vous nous conseillés et si vous y désirés quelque chose soit d'augmentation, soit de retranchément, nous receurons votre réponse à tems p͞r le faire. Ie crois cette défense nécessaire, et ie m'y intéresse infiniment, parce que ie crois cette démarche décisiue pour le repos de votre ami et p͞r sa réputation. Tout cela a interompu sa tragédie, mais il va la reprendre auec ardeur. Sa santé quoique faible se soutient mieux que ie ne l'espérois. Je sens à merueille et lui aussi combien vn succès brillant seroit désirable, mais aussi vn demi succès seroit acablant. Ainsi il ne faut rien donner dont on ne soit sûr, et p͞r l'être il faut trauailler et par conséquent il ne faut comter sur cela que p͞r dans vn an. Mlle Quinaut qui aime votre ami et qui mesne sa troupe deuroit bien n͞s faire la galanterie de faire remettre p͞r quelques jours vne des pièces de votre ami come Zaïre par exemple. Cela dispose toujours le public en sa faueur. V͞s pouriés lui donner le mot, et cette petite confidence l'engageroit.
P͞r ma réponse elle demeurera entre v͞s et moi, et il faut la brûler. Celle de votre ami, est bien mieux, mais v͞s sentés bien qu'il y auoit bien des faits que i'ygnorois, et que de plus ie n'osois pas tout dire. Il y a des choses dont il est honteux de se justifier, et dont il n'a rien dit dans son mémoire. Il comte que dom Prouost en parlera auec adresse dans son pour et contre. Son neueu ira v͞s trouuer p͞r ce placet à mr le chancelier et ne fera rien sans vos ordres. Conduisés n͞s mon cher ami, n͞s ne ferons rien sans votre conseil, ne n͞s abandonés pas dans vne si cruelle circonstance. Je comte sur v͞s p͞r la lettre de Lamare et l'affaire d'Hollande. Ainsi ie ne v͞s en parle plus.
Maupertuis est arriué aujourd'hui. Il a dit à mr de V. mille choses gratieuses de la part de mr de M. et lui a aporté vne lettre de mr Dargenson dont ie suis très contente. A propos de mr Dargenson ie voudrois bien mon cher ami que v͞s me rendissiés vn service personel. Il y a vn polisson qui a fait vn mauuais almanach intitulé l'almanach nocturne. Il lui a plu p͞r vendre son liure de mettre à la tête par madame la marquise d. C., et Crebillon a eü la sottise de laisser passer à l'aprobation ce titre insolent. Car quoiqu'il n'i ait point de nom, il est ridicule d'y mettre les lettres initialles et le titre d'une personne connuë, aussi y a t'il des gens assés charitables p͞r le dire de moi quoiqu'assurément il ne me ressemble en rien. Trois personnes me le mandent aujourd'hui. Ce sont des plaisanteries du pont neuf. Il est en vers et ie n'en ay jamais fait vn. Ie crois inutile de m'en défendre mais comme la malignité aimeroit à le croire, ie voudrois que mr Dargenson ou mr Heraut ordonât au libraire, qui demeure à la galerie du palais et dont le nom est sur cette petite gentilesse que v͞s aurés vu sans doutte, qu'il lui ordonast dis je de déclarer l'auteur et d'effacer la marquise de son titre; sauoir l'auteur c'est le principal, Crebillon doit le sauoir. Ie v͞s suplie mon cher ami de me sauuer si v͞s pouués ce petit ridicule que je ne mérite point et qui pouroit déplaire à mr du Chastellet s'il l'aprenoit.
Au reste ie ne brouillerai point Tiriot et mr de V. Ie me contiendrai, ie sens qu'il le faut, mais i'ay bien de la peine. La lettre qu'il m'a escrite est bien loin d'être come elle deuroit être. Mr de V. lui a escrit depuis des lettres fort tendres. Saués v͞s qu'Argalotti fait traduire son liure actuellem͞t par Desfontaines? et il a escrit à mr de V. p͞r auoir ses conseils. C'est Maupertuis qui me l'a apris. Est il vray que le comte du Luc a congédié Rousseau? Adieu mon cher ami. Oposés v͞s surtout au voyage de Paris. Conduisés n͞s, et aimés n͞s. I'espère que mr de M. aura son cheureuil cette semaine.
Votre ami v͞s aime come il le doit, c'est tout dire.