1740-09-12, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à Pierre Louis Moreau de Maupertuis.

Ie ne suis pas assés Ennemie de moimême Monsieur p͞r v͞s auoir rien caché de ce que ie sauois des marches du roi, si i'auois pu Espérer de v͞s retenir icy, mais ie ne sauois autre chose, sinon que i'aurois le bonheur de le voir icy.
Les dattes m'étoient inconnuës, et come il deuoit aller à Vezel auparauant, et que sans son voyage de Strasbourg que i'ygnorois il y seroit arriué beaucoup plutost, ie ne croiois pas que v͞s l'y attendissiés plus de 2 ou 3 jours. Souenés v͞s ie v͞s prie que mr de V. et moi n͞s v͞s dismes plusieurs fois que S. M. ne deuoit Etre que le 18 à Francfort sur le Main, et qu'elle ne seroit pas à Cleues auant le 23 ou le 24. N͞s n'en sauions pas dauantage p͞r les dates. Le reste Etoit inutile, or puisque n͞s ne pûmes pas même obtenir 24 heures de plus, jugés si n͞s pouuions Espérer de v͞s retenir par des Espérances, qui Effectiuem͞t ont Eté trompées et qui ne n͞s donnoient rien de positif p͞r le tems. V͞s voyés Monsieur par mon Empressem͞t à me justifier d'un si petit tort qui n'est qu'aparent combien ie suis deuenuë incapable d'en auoir jamais auec v͞s, car ie veux bien que v͞s Croiés que i'en ai eü, puisque la façon dont v͞s les oubliés m'est vne nouuelle preuue, et vn nouueau gage de votre amitié. Ie crois que v͞s ne douttés pas que ie n'aie Eté bien sensiblem͞t affligée et de la maladie du roi et de perdre l'espérance de le voir. C'est assurém͞t une des priuations les plus sensibles que ie pusse Eprouuer. I'ay eü bien des sortes de regrets en voyant partir mr de V. et le roy doit me sauoir gré de ce sacrifice qui Est grand de plus d'une façon, puisque i'ay bien senti qu'il m'ôtoit toute Espérance de voir le vojage des Pays Bas renoüé. J'espère qu'il me renuera bientost quelqu'un auec qui ie compte passer ma vie, et que ie ne lui ay prêté que p͞r très peu de jours. V͞s allés sans doutte reprendre le chemin de Berlin auec le roi. Ie suis bien fâchée de ne v͞s auoir pas reuû, car j'auois bien des choses encore à v͞s dire. J'ay Enuoyé mon liure à S. M. par mr de V. C'est le seul Exemplaire qui soit sorti des mains de Praut. Salmon continuë ses dificultés, et auant qu'elles soient leués ie crois qu'il se passera bien du tems, ainsi si v͞s vouliés me faire le plaisir de le lire, le roi aura la bonté de v͞s le prêter, car ie crois qu'il ne lira guère. Ie receurois encore vos auis à tems, et ie ferois faire des cartons, s'il y en a à faire. Surtout ie v͞s prie de me mander si v͞s trouués ce que ie dis sur Koenig dans la préface, bien, et suffisant, et si v͞s voudriés quelque chose de plus dans l'auertissem͞t du libraire. I'ay dit la vérité dans l'un et dans l'autre, car v͞s aués dû voir par les aueux que ie v͞s ai faits que ie ne sais point la déguiser, même quand elle m'est Contraire. Ie l'ay adoucie à l'endroit de Koenig. Il y auoit, par vn homme qui a Eté quelque tems à moi, mais mr de V. a voulu que ie misse chés moi et ie n'ay pu le refuser.

Mr de Camas vient de m'ôter le peu d'espérance qui me restoit de voir le roy. I'en suis au désespoir. Ie v͞s remercie du désir que v͞s auiés de me voir à Anuers. Mr de Camas me l'a dit, et encore autre chose qui m'a fait grand plaisir et dont ie ne dirai mot. Ie v͞s prie songés à mr Bernoulli. Le roy peut me le procurer [? pour] vn an. Ie veux v͞s en auoir l'obligation. Ie lui ay mandé que ie v͞s prierois de le demander. Adieu, la poste me presse, i'espère qu'à force de v͞s aimer v͞s n'en douterés plus.