1740-02-01, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à Johann Bernoulli.

Ie sauois monsieur que les mêmes personnes qui v͞s auoient proposé de venir chés moi, v͞s en ont détourné, ainsi ie me serois attenduë à la lettre que ie viens de receuoir de v͞s, si ie n'auois cru pouuoir comter assés sur la fermeté de votre âme p͞r croire que leurs conseils arriueroient trop tard, et que v͞s ne voudriés pas manquer à vn Engagem͞t aussi positif que celui de vos dernières lettres.
V͞s saués que ie m'ettois arrangée en conséquence, jusqu'à refuser à mr Koenig de rester l'hiver auec moi come il le désiroit et come il v͞s l'auoit même mandé par la lettre dont v͞s m'aués envoyé la copie. Cette lettre seule doit suffire, ie crois, p͞r v͞s prouuer que ie n'ay jamais eü de tort auec lui, et que le seul motif qui l'ait porté à des Extrêmités si honteuses, est le dépit qu'il a eü de voir que depuis que i'ay eü l'espérance de v͞s auoir, ie n'ay voulu entendre à aucune des propositions qu'il m'a fait de rester auec moi. La bassesse de ses procédés fait seule son auantage, il n'a rien à perdre et moi ie me déshonorerois si ie m'abaissois jusqu'à me justifier des bassesses dont il ose m'accuser. Ainsi ie ne lui répondrai jamais que par le mépris que sa conduite mérite, sans cela il me seroit aisé de le couurir de confusion par ses propres lettres, dans lesquelles il me demande pardon de la façon la plus basse. Il y a icy des Suisses qui ont été témoins de la façon dont ie le traitois, et qui sont si indignés contre lui, que ie crois qu'ils travailleront d'eux mêmes à détruire les propos de mr Koenig sans que ie m'en mesle. Il est vrai que je l'ay comblé de bontés et de bienfaits, lui et son frère, et que ie n'ay pas d'autre reproche à me faire dans toute cette affaire, qui tourne cependant si malheu-reusement p͞r moi, puisqu'elle me priue de v͞s. Ie ne v͞s cacherai point que i'en suis infiniment affligée. La franchise de votre procédé me touche, et ie v͞s en regrette dauantage. Il me semble pourtant que si les sentimens que v͞s me marqués dans votre lettre sont véritables, come ie le crois, v͞s deués sentir qu'il est bien injuste à vous de régler votre conduite sur des propos dont v͞s sentés l'indignité et la fausseté, et que si v͞s deués de la déférence aux personnes qui v͞s déconseillent de venir chés moi, v͞s deués peutêtre quelque chose de plus à la parolle que v͞s m'auiés donnée, et aux sentimens que i'ay p͞r v͞s. Le tems pouroit tout acomoder. Ie crois que ie n'ay rien à ajouter à cette proposition et que dans la circonstance où ie suis rien ne peut mieux v͞s prouuer l'enuie extrême que i'ai de viure auec v͞s, et l'amitié et la considération auec laquelle ie suis Monsieur, Votre très humble et très obéissante seruante

Breteüil du Chat