ce 12 [February 1739]
Mr Ratz de Lanthenée, auteur d'élémens de géométrie, escrit aujourd'hui à mr de V. mon cher ami qu'il a été voir l'abé Defontaines p͞r sauoir ce qu'il pensoit, et que l'abé des Fontaines lui auoit montré vne permission du lieutenant criminel, auquel il a présenté requeste, p͞r informer contre mr de V., et qu'il lui auoit aussi montré des preuues testimonialles et d'autres choses p͞r le conuaincre de l'épître à Vranie, et des lettres philosophiques.
Cela est si réuoltant, que ie crois que rien ne peut exciter dauantage les puissances en faueur de mr de Voltaire que de leur faire connoitre la scélératesse d'un home qui veut ôter l'honneur et persécuter la vie d'un homme à qui il doit la sienne. Ainsi mon cher ami votre prudence et votre amitié fera de cela l'usage qu'elle voudra. S'il y a quelques mesures à prendre v͞s n͞s en instruirés. Cette nouuelle, la lettre de mr Dargenson, dont il v͞s Enuoye copie, la dernière lettre que v͞s lui aués escrite, l'ont enfin fait résoudre à mander qu'on ne comence point les procédures sans vn nouuel ordre. C'est déjà beaucoup. Il a écrit à mr le chancelier, à mrs de Maurepas, à mrs Dargenson des lettres très conuenables. Il ne fera paroitre son mémoire que lors que v͞s le jugerés àpropos. Il faudroit vn peu pousser à la rouë auprès de mr le chancelier. S'il faisoit faire quelques réparation à mr de V. il s'en contenteroit, et se tiendroit tranquille. En vérité il est honteux qu'on laisse à vn tel home la liberté d'escrire deux fois par semaines et i'espère encore que le cry public et votre protection la lui fera ôter. N͞s espérons aussi en mr de Maurepas. Ie voulois que votre ami escriuit à mr le cardinal. On dit que l'abé Desfontaines lui a escrit. Mandés moi siv͞s aprouués qu'il lui escriue, et surtout escriués les choses les plus fortes contre le voyage de Paris et contre le procès. Si v͞s voyés la fureur de ses résolutions v͞s sentiriés qu'il ne pouroit rien faire de pis que d'aller à Paris, car enfin il ne seroit pas toujours sous vos yeux. Il mande à m͞e de Chambonin de voir mr Heraut, et d'aller à l'audiance du chancelier auec mr Mignot en se disant sa parente. Ie l'aprouue fort, et cela ne peut faire qu'un bon effet, mais ce St Hiacinte n͞s tourne la teste, et quand il me dit qu'il veut aller à Paris p͞r tirer raison de cette injure, ie ne sais que lui répondre. Il me semble que c'est le trahir que de l'en empêcher. M͞e de Ch. m'a mandé qu'elle n'auoit pas été contente du Burigni dans cette occasion, elle v͞s l'aura dit sans doutte. I'ay engagé le cheualier Daidie à parler à St Hiacinte, qu'il connoit. Il faut absolum͞t obtenir de lui vn désaueu formel, et qu'il fasse suprimer ce libelle qu'il a fait mettre à la fin de Matanasius. Or v͞s saués que Matanasius est entre les mains de tout le monde. M͞e de Ch. v͞s dira sans doutte ce que mr de V. demande des Comédiens. Ie ne sais si cela est bien conuenable et ie ne l'aprouue pas trop, mais il n'est pas dans vn état à entendre raison, et il faut faire ce qu'il veut p͞r Eviter de plus grans malheurs. Il compte que v͞s dirés encore bien fortement au cheualier de Mouhi de ne point faire paraître son mémoire sans son ordre. Parce qu'il lui dit aujourd'hui, dans sa lettre, qu'un ami trop Zélé le fait imprimer, et il faut absolum͞t attendre ce que fera mr le chancelier.
P͞r Tiriot ie crois que tout s'apaisera, mais moi ie ne lui pardonnerai jamais de m'auoir compromise, et d'auoir sans ma permission fait courir la lettre qu'il m'escriuoit, cela est inoüi. Heluetius me mande que cela a fait vn très mauuais effet, et qu'il me cache sur cela la moitié de son chagrin. Ce sont ses termes. Ie v͞s auouë, que cela m'inquiète. Ie v͞s suplie mon ami de me dire tout ce qu'on a dit sur cela, car v͞s saués qu'il faut tout sauoir, on peut tout réparer. Mandés moi aussi s'il n'i a point de danger que dans ces circonstances mr du Chastellet aille à Paris. Il compte y être dans 15 jours p͞r cette maison que ie veux acheter. Ie ne sais si ie v͞s ay mandé que l'auteur de l'almanach nocturne étoit mr le cheualier de Neuuille Montador, auteur très nocturne et qui a déjà fait plusieurs brochures aussi estimable que l'almanack. Si v͞s trouués quelqu'un qui me l'ait charitablem͞t attribué v͞s me ferés plaisir de lui nomer l'auteur, dont ie suis très sûre.
Mr de Maynieres a escrit vne lettre charmante à mr de V. C'est vn homme bien aimable. Puisqu'il est votre ami ie me doutois bien que c'étoit un aimable home.
Tiriot a escrit vne lettre à mr de V. par le canal de mr de Maup. dans laquelle il dit qu'il regarde come absurde que Mr de V. ait payé sa pension chés m͞e de Bernieres. Cependant la lettre de m͞e de Bernieres que v͞s aués en fait foy. Quel home!
Adieu mon cher ami, il ne faut aimer que v͞s et mr votre frère.
Praut doit v͞s auoir remis l'épître sur l'homme, qui sera la 5e. Il faut qu'il en demande l'aprobation, et qu'il ne fasse rien imprimer sans cela. Recomandés [le] lui bien mon cher ami.
Tiriot escrit aujourd'hui vne lettre à mr de V. qui comence ainsi: I'étois enfermé avec vn évêque, et un ministre étranger quand m͞e de Chanbonin est venuë p͞r me voir. Cela est bien bon, et la Popliniere qui ne répond point à mr du Chastellet! Tout cela est trop plaisant.
Dumoulin a mandé que v͞s n'estiés point d'auis qu'on parlât à mr Deniau. Ie supose à cela quelque mal entendu, car il me semble qu'un désaveu des avocats ne peut faire que du bien.