à Cirey le 12e 10bre 1737
Vous allés être bien Etonné, Monsieur, de ce que ie vais v͞s mander aprés la lettre que ie v͞s ay escrit il y a huit, ou dix jours sur mll͞e Linant, et son frère.
v͞s aués été témoin de mes bontés p͞r eux, et sur tout p͞r la soëur, que ie croiois la meilleure fille du monde, et qui se trouue vn petit monstre. On m'a renuoyé vne lettre d'elle dans laquelle elle dit de moi, qui L'ay comblée de bien, les choses les plus insultantes, et les plus piquantes. Ie v͞s Enuoie vne page de cette lettre, afin que v͞s jugiés v͞s même de ce que l'on doit penser d'une créature qui traite sa maitresse auec cette insolence. C'est à vn petit abé Fontaine de Rouën qu'elle escrit toutes ses gentilesses. Ie ne sais ce que c'est que cet abé Fontaine et ie ne m'en soucie guères. I'ay même dédaigné de prendre de ses lettres dans les papier de la Linant, mais i'y ay trouué des minuttes de toutes celles qu'elle lui a escrite. Ie ne puis imaginer pourquoi elle gardoit des copies de ses lettres, mais enfin i'en ay trouué dans ses papiers vne infinité plus insolentes encore, s'il est possible, que Celle dont ie v͞s enuoie vn fragment. V͞s pouués en juger par cet Echantillon, que ie v͞s prie de me renuoyer. V͞s y verrés come elle me traite, aprés auoir comencé par auouër que i'ay beaucoup de douceur p͞r elle. Ie ne sais ce que ie dois penser de son frère. Ie crois qu'il ignoroit les lettres de sa soëur à cet abé. Il est trop prudent p͞r les auoir soufertes, mais ce qu'elle escrit a bien l'air d'être le résultat de leurs Conuersations. Le projet de me donner de l'encensoir au trauers du nés dans son épître dédicatoire, et de me louër de toutes les bonnes qualités que ie n'ay pas, ne peut guères être qu'un complot entre eux. D'ailleurs il y a dans les autres lettres, des ridicules qu'elle me donne, sur des choses, qu'elle n'a pu sauoir que par son frère. Enfin toutes les aparences sont contre lui. V͞s saués que d'ailleurs ie n'étois pas contente de la façon dont il s'est conduit dans l'affaire de Prusse, et il y a plus d'un an que ie sais, qu'il auoit tenu de moi des propos peu respectueux à vne terre des Enuïrons, où ie l'enuoyay faire vne visite auec mon fils, mais ie les lui auois pardonné. Il a paru très touché de sa disgrâce, et il faut auouër qu'il est bien moins Coupable que sa soëur. P͞r elle, il n'i a aucune espérance, c'est vne créature méchante par réflexion, et qui de façon ou d'autre finira mal. I'aurois pu auoir justice d'une telle insolence de la part d'une de mes domestiques, mais i'aime mieux l'oublier p͞r jamais, et la renuoyer; p͞r son frère, il poura se coriger, ie le désire, et c'est tout ce que ie puis faire. V͞s estes trop justes p͞r l'exiger de mr de Voltaire, ou de moi, que n͞s en entendions parler dauantage. Ie verrai par sa conduite à Paris où j'ymagine qu'il ira et par la façon dont il parlera de Cirey, ce que i'en dois penser, et il doit bien Croire que si sa soeur ou lui prononçoient mon nom, ou celui de quelqu'un qui pût auoir le moindre raport à moy, qu'auec le plus profond respect, ie sauray bien, ayant par deuers moi les lettres que ie garde, les faire punir. Ie crois, Monsieur, que la bonté de votre Coëur sera bien effrayée de la noirceur d'une petite créature p͞r qui v͞s aués eü de la bonté, et que v͞s croyés vne honnête personne. Mr de V. en est très affligé, p͞r moi i'en suis plus fâchée qu'indignée, Car à v͞s dire le vray, ils ne peuuent pas m'offenser. Mr Linant doit croire moins qu'un autre que ie m'eniure de mauuais encens, car quelques louanges qu'il m'ai donné, ie l'ay toujours traité très durement parceque ie voyoi qu'il auoit vn orgüeil insuportable, et beaucoup de penchant à abuser des moindres marques de bonté. Mr de V. v͞s fait mil et mil amitiés, il comte v͞s escrire au premier jour. Il fait vne tragédie, les muses ont repris leurs droits sur luy. Voilà encore vne lettre pleine de Linans. J'espère que n͞s n'en parlerons plus. Ie v͞s prie de montrer ce que ie v͞s enuoie de la lettre de la Linant à mr de Formont, il v͞s montrera en échange (et cela vaut vn peu mieux) ce qu'il a [?reçu] de mr Dargental, par votre ami. Adieu, le papier me manque.