Nous ferons tout ce que v͞s voudrés mon cher ami, cela est décidé il y a longtems dans nos cœurs, mais nos imaginations s'y sont enfin soumises.
Mr Heraut veut traiter cette affaire criminellm͞t dont ie suis très fâchée, car ce mot d'affaire criminelle effraye toujours mes oreilles. Ie suis rauie que ce procès comence par les gens de lettre outragés, les parens de mr de V. interuiendront ensuite, et lui jamais s'il m'en croit. Il seroit content auec vn désaueu, mais le public ni la justice ne le seroit pas. Il est odieux que l'on laisse la liberté d'escrire à vn scélérat si méprisé, si haÿ, reconnu p͞r vn fripon, et p͞r vn monstre, mais le monde subsiste d'abus. Enfin quoique v͞s ne n͞s Escriuiés point, quoique v͞s soye͞s enrhumé, n͞s sommes bien sûrs que v͞s faites solliciter mr Heraut par tous vos amis. Ie suis bien impatiente de sauoir ce que cette affaire deuiendra. V͞s Empêcherés sans doutte que votre ami reçoiue de mr Heraut vn assigné p͞r être oüi, car v͞s saués bien que ie ne pourois me résoudre à le quitter sans mourir. Mr du Chastellet sera à Paris le 26 ou le 27. Il y va p͞r la maison de mr Dupin. Ie ne sais s'il l'achettera, mais ie sais bien que ie le désire infiniment car cela me raprocheroit de v͞s. Ie ne crois pas qu'il fasse grande fête à Tiriot ni à mr de la Popliniere. Ce Tiriot dit qu'il suiura aueuglément vos auis. Plût à dieu qu'il les eût suiuis toujours! mais enfin s'il les suit àprésent n͞s ne craignons rien de ses démarches, et v͞s le porterés sans doutte à faire celles qui pouront n͞s seruir. Il n'a pas voulu rendre à m͞e de Chambonin la lettre que je lui ay escrit sur cette malheureuse affaire. Cependant ie voudrois bien qu'il me la rendît. Il a fait vn si cruel vsage de celle qu'il m'a escrite, que ie ne puis laisser la mienne entre ses mains sans inquiétude. Tâchés mon cher ami de la rauoir, il n'aura rien à v͞s refuser.
Votre ami v͞s mande qu'il pouroit bien partir p͞r la Flandres quelque tems auant n͞s, c'est à dire, incessam͞t, parce que nos affaires, qui sont des plus importantes, pressent. Cependant ce ne sera pas sans auoir reçu encore de vos lettres.
Il faut se défier de du Moulin, c'est vn traitre et vn scélérat consomé. Ie sais qu'il voit des Fontaines, qu'il l'auertit de tout, et que c'est lui qui en l'en auertissant a empesché que n͞s n'ayons le désaueu des auocats par leur bâtonier, mais v͞s saués que n͞s auons vne lettre d'un de leurs anciens qui y Equiuaut. Ainsi ie v͞s suplie de ne rien dire à Dumoulin, ni deuant du Moulin. Si v͞s voy[i]és mr de V., si v͞s estiés témoin de l'emportem͞t de ses résolutions, de l'excès de son ressentement et de son chagrin, v͞s veriés bien qu'il faut le seruir et empescher qu'il n'aille à Paris. I'aimerois cent fois mieux qu'il allast en Flandres. Tout cela a altéré la douceur charmante de ses mœurs, et ie suis dans vne cruelle situation, mais ma confiance en votre amitié qui veille sans cesse p͞r n͞s me soutient.
Dites bien des choses à mr votre frère. Ie compte aussi infiniment sur lui dans cette affaire. Recomandés n͞s aussi à m͞e Dargental.
Cette lettre ostensible que Tiriot a tant montrée, m'a fait beaucoup de chagrin, mais ie crois qu'elle lui en fait aussi, car come il a eü l'imprudence et la hardiesse de l'enuoyer au P. royal de Prusse, elle lui a attiré vne petite lettre assés dure de ce prince dont ie v͞s enuoie la copie. V͞s uerés par là que cette belle lettre n'a pas mieux réüssi auprès du P. r. qu'auprès de moi. Le p. royal, à qui j'en auois escrit dès que Tiriot m'eut apris qu'il lui auoit enuoyé cette lettre, me mande qu'il auoit préuenu mon mécontentem͞t, et m'en donne la preuue dans la copie de sa lettre qu'il m'enuoie. Il me marque qu'il se chargeroit auec plaisir du soin de faire l'apologie de mr de V. et que Trajan se trouueroit honoré de faire le panégirique de Pline. Tout ceci entre n͞s deux seulem͞t, et que Tiriot sur tout n'en sache rien. Entre n͞s ce Tiriot est vn pauvre homme, mais il pouroit y auoir cent mille Tiriots. Quand on a vn Dargental on est trop heureux.
Adieu mon cher et respectable ami.
ce 20e féurier [1739]
Mandés n͞s toutes les postes ce qu'il faut que n͞s fassions. M͞e de Ch. sera votre secrétaire, et non pas le Mouhi, ni le Berger. Ce Mouhi a pourtant bien fait sur le préseruatif et p͞r les requêtes. Il faut le ménager et le contenir.