Je suis si aise de la nouuelle que v͞s n͞s aprenés et que toutes nos lettres confirment qu'il faut mon cher ami que ie v͞s le dise.
Soyés persuadé que personne ne sentira jamais plus viuement que moi ce qui v͞s touche et ie défie tout le monde sur le plaisir que i'ay ressenti quand j'ay apris que m^r l'archeuêque d'Embrun alloit s'apellé m^r le cardinal Tencin.

Je vois par la lettre que m͞e de Chambonin m'escrit que rien ne v͞s fait négliger les affaires de vos amis. V͞s deués juger par mes allarmes combien ie désire que ce procès soit Euité et que le désaueu finisse honorablement vne si désagréable affaire. Mais si v͞s sauiés la peine que i'ay de réprimer les impétuosités de votre ami, v͞s verriés que ie dois toujours trembler. Il me cache souuent ses démarches et ie crains toujours qu'il n'en fasse quelqu'une qui renuerse tout. C'est le cheualier de Mouhi qui est son grand confident, et en le tenant en bride il n'i a rien à craindre, mais il lui faut vn bon mors car il est zélé, mais il a vn zèle qui est souuent imprudent. M^r Dargenson pouroit le contenir, et ie mande à m^r son frère de le prier de l'empêcher de rien faire de mal àpropos. Il a ce mémoire entre les mains, il lui vaudroit de l'argent en le faisant imprimer. Si auec cela m^r de V. paroit n'en pas être fâché il le lâchera et n͞s serions perdus. Voilà vn inconuénient diuin ange gardien.

En voicy vn autre, c'est qu'il faut que ce désaueu de des Fontaines soit regardé come vne réparation qu'il fait à m^r de V. et non come vn accommodem͞t entre lui et m^r de V. car v͞s sentés bien que cette idée ne peut se soutenir. Cela dépendra de la façon dont le désaueu sera tourné. Il faut qu'il comence par auouer qu'il a des obligations à m^r de V. qu'il n'a jamais eü aucune intention de l'offenser et qu'il déclare que tout ce qui est dans la Voltairomanie est faux et calomnieux sans dire qu'il en est l'auteur ou non. Il faut de plus que m^r Herault et m^r Dargenson lui défendent sur les peines les plus rigoureuses de jamais prononcer le nom de m^r de V. ni de ses ouurages, ni de le désigner come on a fait de Fontenelle, car s'il continue à le piquer dans ses observations, m^r de V. continuera à se vanger, et n͞s serons aussi auancés que le premier jour. Mais votre amitié saura obuier à tous ces inconvéniens. N͞s somes trop heureux que m^r du Chastellet ait été à Paris et qu'il ait Exigé ce plein pouuoir de m^r de V. car cela le contient vn peu, mais il n'i a point de termes qui puissent exprimer le bonheur qu'il y a à auoir vn ami tel que v͞s. V͞s aurés soin de l'honneur de votre ami come de son repos et il faut v͞s laisser faire. Ie ne lui ay point parlé aujourd'huy. J'ay ouuert la lettre de m͞e Ch. trop tard, ce sera p͞r lundi. Quand on lui annoncera coment les choses se sont passées il faudra que v͞s lui mandiés les raisons qui v͞s ont déterminé à prendre ce parti, et sur tout que v͞s lui mettiés deuant les yeux auec force tout ce qu'il risquoit par vn procès criminel, et la nécessité qu'il y a p͞r lui d'oposer la plus extrême modération, à l'emportement fougueux auquel il s'est liuré jusqu'à présent. V͞s aués bien raison sur l'épître sur l'enuie. Mon dieu qu'il seroit aimable et heureux s'il suiuoit vos conseils! Ne v͞s lassés point ange consolateur de n͞s mettre sous l'ombre de vos ailes. Ie v͞s prie que m͞e Dargental n'ignore pas combien ie désire son amitié.

I'espère pourtant que ie serai dame du palais Lambert.

ce 7 [March 1739]