ce 27 [April 1739]

Mon cher ami v͞s n͞s rendés la vie.
Ie me suis bien douttée que v͞s ne nous abandoneriés pas dans ces cruelles circonstances. Enfin tout est apaisé, tout est fini, votre ami v͞s Enuoie le désaueu dont v͞s n͞s aués enuoyé le modèle, et la lettre p͞r m^r Heraut. Ce que v͞s proposés est si raisonable, qu'il n'i a pas moyen de ne s'y pas rendre, mais ce n'étoit pas ainsi que m^r Deon l'auoit d'abord proposé. Enfin mon cher ami le voilà. N͞s n͞s mettons sous l'ombre de vos ailes, gardés n͞s mon cher ange. I'espère qu'auec cette précaution tout ira bien, et qu'on ne n͞s inquiétera point sur ces Epîtres, qui, après tout, sont sages. Le cheualier de Mouhi a le désaueu, et ie crains qu'il ne l'ait répandu. Votre ami ne m'a pas consulté p͞r le lui enuoyer. Ie ne puis pas tout parer. Ie lui escris p͞r lui défendre d'en faire vsage, mais ie crains que le mal ne soit fait, ie l'ay apris trop tard. Ce sont les conseils de m^r Dargenson qui n͞s ont entraîné dans cette fautte mais j'espère que ce que n͞s v͞s enuoyons la réparera. Enuoyés chercher ce cheualier ou bien passés y, car ie crois qu'il ne peut sortir. Défendés lui l'usage du désaueu. V͞s saurés par lui le chemin que cela a fait. Qu'il ne dise point sur tout qu'il le tient de notre ami, qu'il se taise et ie v͞s prie exhortés le à ne rien laisser paroitre. Il me mande qu'il y a deux Editions de mémoires comencées. Il faut de l'argent p͞r les retirer. Ie lui en aurois enuoié si votre ami ne m'auoit assuré l'auoir fait, mais s'il ne l'a pas fait ie lui enuerai cent escus qu'il lui faut p͞r cela, à condition qu'il v͞s remettra tous les Exemplaires, et autres choses p͞r n͞s mettre en repos. Mon cher ami v͞s n͞s manderés la réüssite de ce que n͞s v͞s enuoyons, et v͞s n͞s tranquilliserés.

N͞s partons mais ce ne sera pas sans v͞s le mander, ainsi n͞s comtons receuoir encore de vos nouuelles.

Si v͞s voyés les Etats où toutes ces misères mettent votre ami, v͞s excuseriés ma douleur et mes inquiétudes. S'il pensoit come moi, il ne s'en soucieroit guères. Ie lui ay dérobé la connoissance de toutes les brochures qui ont paru depuis la Voltairomanie, ie voudrois lui cacher l'horeur de ses libraires de Hollande, il seroit au désespoir. Priés m^r de Mainieres de ne se point lasser de n͞s obliger. Mon dieu que i'ay enuie de le conoitre et de le remercier! P͞r v͞s mon cher ami quels termes v͞s exprimeront jamais mon amitié et ma reconoissance?

N͞s auons relu Zulime, n͞s auons fondu en larmes. Elle est digne de vos soins. Ie crois que dans les circonstances présentes il seroit prudent de la donner. On corrigera tout ce que v͞s voudrés.

Il faut que m^r de Mainieres se dépêche à cause de ce que l'on a mandé au Mouhi de rendre la lettre. Ce Mouhi est un bon garçon trop Zélé, et qu'il faut ménager.