ce 21 féurier [1739]
Mon cher amy ceci deuient sérieux.
Mon crédit a empêché jusqu'à présent le voyage de Paris, mais si on perd l'espérance d'auoir justice ie ne le pourai plus empêcher. Voilà l'affaire renuoyée à mr Heraut. On aura beau solliciter doresnavant mr le chancelier, mr le cardinal, mr Dargenson, mr de Maurepas, ils répondront, l'affaire est renuoyée à mr
Heraut. Il est donc question vniquem͞t àprésent de mr Herault, mais mr Heraut veut qu'on procède criminellement par deuant lui come v͞s le voyés par la copie de sa lettre que m͞e de Chambonin v͞s remettra. Donc il n'i a de moyen d'auoir satisfaction qu'en mettant mr Heraut à portée d'informer, puisqu'il ne veut point vser de la voie de l'autorité.
V͞s craignés que la démarche d'entamer ce procès criminellem͞t même par deuant mr Heraut au nom de votre ami, ne soit dangereuse, et ie le crains aussi, mais cependant elle l'est bien moins qu'au parlem͞t. Car 1º il n'i a point de lettres philosophiques à craindre et 2º les auocats n'auront point le plaisir malin d'exercer leur Eloquence, 2 choses qui seroient à craindre au parlement. Enfin mr Heraut traitera la chose somairem͞t et peut passer par dessus des récriminations vagues de l'abé des Fontaines, come celle de l'épître sur l'enuie où il n'est point nomé et dont il n'i a point de preuue juridique contre votre ami. A l'égard de l'estampe et du préseruatif elles ne sont pas de lui, et il y en a des preuues. La lettre insérée dans le préseruatif est de lui, mais il y a des preuues come elle a été imprimée malgré lui. Il s'agiroit donc de sauoir ce que mr Heraut pense véritablem͞t et ce qu'on en peut espérer, et surtout s'il dispensera votre ami d'aller répondre en persone à son tribunal, car en vérité sa santé ne seroit pas en état de soutenir àprésent ce voyage et ie ne pourois y consentir sans mourir de douleur. Tâchez donc mon cher ami soit par v͞s, soit par cet aimable mr de Mainieres de sauoir les résolutions de mr Heraut afin de n͞s conduire en conformité, car enfin si on ne procède pas juridiquement par deuant mr Heraut sur tout après la lettre dont v͞s verrés la copie, c'est se laisser ararcher sa proye. Ie ne puis aprouuer que m͞e de Chanbonin ait empêché qu'on ne présente à mr Heraut vne requête signée d'un procureur au nom des gens de lettre qui se sont déjà plaints et ie persiste à exiger cette démarche, que ie crois nécessaire et que v͞s me paroissés regarder come telle dans votre lettre. Il faut ou qu'ils la présentent, vn ou deux qui la signeront suffisent, ou que mr de V. la présente en son nom, ou que ce libelle reste sans vengeance. Le dernier il ne faut pas espérer que mr de V. le souffre, et ie ne sais si on doit l'exiger, le second pouroit être dangereux. Le premier est le seul mais il faut le prendre absolument, et ie le recomande à votre amitié, c'est vn coup de partie. V͞s n'aurés qu'à enuoyer chercher le Mouhi, en vn quart d'heure cela sera fait. Les frais ne doiuent point arrêter, mr de V. les payera tous quoiqu'ils couttent. Ie vendrois plutôt ma chemise.
Au nom de dieu mon cher ami faites vne attention sérieuse à ce que ie v͞s dis et faites présenter cette requête. Mr du Chastellet part mardi p͞r Paris. Il parlera à mr Heraut.
Au nom de dieu faites parler mr de Maynieres à mr Heraut. Mr de V. lui escrira demain et aux autres persones que v͞s lui marqués. Il s'est couché n'en pouuant plus.
De vos nouuelles toutes les postes, soit par m͞e Ch. soit par v͞s même. Praut a l'ode sur la superstition par cette poste, et l'épître sur l'homme, il y a déjà longtems. Empêchés qu'il ne mésuse de l'un et de l'autre. Ce sont 2 morceaux délicats.
Adieu mon cher ami, ie n'en puis plus, ie suis bien à plaindre, mais votre amitié me console.
Il ne faut pas que les 2 lettres que m͞e Ch. v͞s montrera passent v͞s, et elle.