1736-12-23, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Il faut que v͞s v͞s attendiés à être souuent importuné de mes lettres monsieur.
Il faut que ie v͞s enuoie la copie de la lettre du bailly de Froullay que ie reçois dans le moment, elle est datté de Versailles du 20e 10bre. V͞s saués que ie luiauois enuoyé la Ière lettre du p. royal à mr de Voltaire et la réponse de mr de Voltaire au p. royal. Le g. d. s. a p͞r lui vne grande amitié et vne grande considération. Il n'i a nulle aparence s'il auoit dessein de perdre mr de V. qu'il eût aprouué les lettres et que le bailly me mandât, soyez tranquille. Hélas ce mot là n'est guères fait p͞r moy. I'ay escrit come ie v͞s l'ay mandé par ma dernière vne lettre au bailly où ie lui mandois le départ de mr de V. p͞r la Prusse, mais voicy vne idée qui me vient et que l'aurois déjà exécutée si ie n'auois bien mis dans ma tête de ne pas faire vne seule démarche sans votre aprobation. Le bailly n͞s a rendus des seruices essentiels, il est toujours à Versailles, il est en possession de parler au g. d. s. de mr de Voltaire auec vne liberté et vne fermeté peu comune. Le g. d. s. lui en a souuent parlé auec confiance et ne l'a jamais trompé. V͞s saués même que ie v͞s ai mandé qu'il lui auoit fait entendre qu'il sauoit mon extrême attachement p͞r mr de V. ainsi il est en état de lui en parler sur tous les tons possibles mais plus le bailly de Froulay m'a serui plus il est aportée de me seruir encore moins il faut le tromper. Permettés moy donc de faire cecy — d'enuoyer vn courier au bailly de Froulay et de lui escrire vne lettre par laquelle ie luy manderay que ie lui ay escrit par la poste que m͞r de V. étoit allé en Prusse, que ie n'auois pas osé confier la vérité au hazard d'une lettre, mais que la reconoissance que i'ay des seruices qu'il m'a rendus et de son amitié p͞r moy ne me permettant pas de le tromper, ie lui auouois que m r de V. s'étoit arraché d'auprès de moy auec la douleur la plus amère, mais qu'il y auoit été forcé par les allarmes que l'on lui auoit donné au sujet du mondain, que mr N . . . l'auoit menacé, que ses amis de toutes parts lui auoient mandé que la cour étoit irritée de cette bagatelle, que vojant l'orage se former il auoit cru deuoir s'y dérober, qu'il étoit donc party effectiuement, mais qu'il n'étoit point allé en Prusse, que ce voyage ne conuenoit ni à sa santé, ni à sa façon de penser, qu'il étoit resté dans vne des villes de Flandres la plus proche de nos frontières, que p͞r lui prouuer auec quelle sincérité ie lui parlais ie lui auouois que ie le croyois à Bruxelles, que sa lettre me faisoit croire qu'on n͞s auoit grossi le danger, mais que ie le priois de considérer combien il étoit affreux p͞r vn honête home come mr de V. de mesner la vie d'un cartouchien et d'être menacé tous les[. . .]