1738-11-19, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à Pierre Louis Moreau de Maupertuis.

Quand ie me suis adressée à vous Monsieur p͞r les changemens que ie désirois faire à mon mémoire sur le feu, j'ay comté m'adresser à mon ami, et non à vn comissaire des prix.
Ie sais fort bien que ce que ie v͞s demande n'est pas dans la rigidité de la loy, mais ie sais aussi que la lettre tuë, et que l'esprit vivifie. Ie ne demande aucun changement dans le corps de l'ouurage, car ie sens très bien que l'académie, ayant porté son jugement sur le mémoire tel qu'il lui a été présenté, elle veut que le public le voie dans le même Etat, et cela est trop juste, mais ie ne vous demande que la supression d'une note dans la quelle il s'agit des forces viues, sujet entièrement Etranger à celui du feu, et assurément cette note n'a influé en rien sur le jugement de l'académie. Voilà pourquoi ie me suis adressée à v͞s qui saués come je pense actuellement sur cette matière, et qui aués assés de justice p͞r sentir que ce que ie v͞s demande n'intéresse en rien l'honneur de l'académie, ni des comissaires. Au reste si v͞s voulés me rendre ce service ie v͞s aurai la plus sensible obligation, mais ie v͞s prie de n'en parler ni à l'académie, ni à mr de Reaumur. Come v͞s n'aués nulle idée de mon mémoire, et que v͞s m'aués promis de me faire le plaisir de le lire, il v͞s est très aisé de le demander. On n'a pas encore comencé à l'imprimer, et v͞s pourés juger par v͞s même du peu d'importance de ce que j'ay l'honneur de v͞s demander, et combien cependant cette bagatelle seroit désagréable p͞r moi, puisqu'il est fort triste de voir dans le seul ouurage qui sera peutêtre jamais imprimé de moy vn sentiment qui est si oposé à mes idées présentes. Si v͞s voulés donc monsieur me faire le plaisir d'effacer cette note (car cela n'est point dans le corps de l'ouurage) vous me rendrés vn service que ie n'oublieray jamais; et vous la trouuerés dans la première partie. Ie serois charmée que v͞s voulussiés me dire votre sentiment sur cet ouurage, mais i'ymagine que v͞s n'aués guère de tems puis que vos lettres sont deuenues si rares depuis que v͞s estes à Paris. I'en suis sensiblement affligée, car v͞s saués bien le plaisir extrême qu'elles me font, mais ce qui me fâche le plus c'est que v͞s ne parlés plus de venir icy. Cependant si v͞s me tenés parole cet heureux tems doit aprocher. L'impatience que i'en ay Egale l'amitié extrême que v͞s m'aués inspirée et le cas que ie fais de l'auantage de pouuoir v͞s consulter moimême et m'instruire dans votre comerce. Mr de V. qui partage auec moi tous ces sentimens me prie de v͞s en assurer.

On m'a mandé que mr du Fey ôtoit 4 rayons de la couronne de Neuton. Ie suis bien curieuse de connoitre les expériences qui l'ont porté à auancer vne proposition qui doit beaucoup surprendre toutes les personnes qui connoissent l'optique de Neuton et son Exactitude. Ie suis cependant persuadée qu'il ne l'a point auancée sans auoir de fortes preuves p͞r l'établir. Ie v͞s auouë que i'en suis bien curieuse, et suretout de sauoir ce que v͞s en pensés. On me mande aussi qu'un nomé mr de Gamaches, qui est abé, faisoit un liure de phisique où il concilioit le plein de Descartes et le vide de Neuton. Cela me paroit vne Etrange Entreprise. Connoissés v͞s l'auteur? car p͞r l'ouurage ie ne sais s'il osera v͞s en parler. Ie v͞s suplie de me garder vn secret Exact sur ce petit extrait de Neuton que ie v͞s ay Envoyé, et sur cette notte.

Adieu monsieur, soyés bien certain que quand v͞s voudrés voir les personnes qui v͞s aiment et qui v͞s Estiment le plus il faut que v͞s veniés à Cirey.