1739-02-17, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à conte Francesco Algarotti.

On a tant de droits à Cirey sur votre amitié monsieur que l'on y compte.
Vous saués quel cas infini on y fait de votre esprit, et de vos talens. I'ay été très fâchée p͞r v͞s que mr de Castera ait si mal rendu quelques endroits de votre liure. Puisque v͞s vouliés refondre sa traduction, il me semble que la solitude de Cirey Etoit très propre p͞r un tel ouurage, et i'aurois infiniment désiré que v͞s fussiés venu rendre icy à vos dialogues ce beau coloris qu'ils ont perdu en passant par des mains Etrangères. Les fautes de détail qui peuuent se trouuer dans la traduction de mr de Castera ne sont guères faites pour Etre releuées dans vne lettre. Je désire que votre nouuelle traduction soit plus digne de l'original, et que sa fin me procure bientost l'honneur de v͞s voir.

Mr de Voltaire a eu tant d'occupations depuis deux mois p͞r la Henriade dont on fait vne nouuelle édition et qu'il a beaucoup corrigée, pour l'histoire de Louïs 14 qui s'auance beaucoup et pour beaucoup d'autres ouurages, qu'il n'a pas pu se donner encore l'honneur de v͞s escrire. Sa santé est assés bonne depuis quelque tems. Il v͞s prie de receuoir icy les assurances de son tendre attachement, en attendant qu'il v͞s en assure lui même.

Ie ne puis croire ce que l'on n͞s a mandé cependant de bien des côtés, que v͞s Estiés infinim͞t lié auec un ennemi de mr de V. que l'on soupçone d'être l'auteur du dernier libelle diffamatoire qui vient de paroitre, et que c'étoit même lui qui trauailloit à votre traduction, mais ie ne croirai jamais vne telle Calomnie, ni qu'il ait osé lire deuant v͞s vn tel amas d'injures, et d'absurdités contre vn homme à qui v͞s aués donné des marques publiques de votre estime, et de qui vous en aués tant reçu, et ie me flatte que cela ne mettra aucun nuage dans l'amitié qui est entre mr de Voltaire et v͞s. V͞s estes faits p͞r v͞s aimer tous deux et ie me flatte que Cirey v͞s réünira encore. Ie v͞s prie d'être persuadé Monsieur du désir que i'en ay, et de tous les sentimens auec lesquels ie serai toute ma vie, Monsieur, Votre très humble et très obéissante seruante

Breteüil Du Chastellet

Ie compte auoir l'honneur de v͞s enuoyer incesam͞t vn Exemplaire de mon ouurage sur le feu dont l'impression s'achève à l'imprimerie royalle.