à Cirey ce 24e 8bre 1738
Vous n'êtes pas sans doutte assés injuste p͞r v͞s fâcher d'une attention que les gens les plus riches Exigent.
On n'aime point receuoir de gros paquets par la poste. Les choses que ie v͞s ay Enuoyées ne pouuoient avoir de mérite auprès de v͞s que celui de la primeur. Mr de V. attend auec impatience votre agrément p͞r faire paraitre la lettre qu'il v͞s adresse, et qu'il v͞s a Enuoyée, et moi j'attens votre jugem͞t sur mon petit Extrait de Neuton, mais ce que j'attens auec plus d'impatience encore c'est le tems où v͞s me ferés l'honneur de me venir voir. Ie ne puis croire que v͞s trompiés encore mon attente cette fois cy, et que v͞s v͞s repentiés de m'auoir promis la chose du monde que ie désire le plus. Come v͞s ne m'en parlés point dans votre dernière lettre, cela m'a inquiétée. Mr de Reaumur me fait enrager le plus poliment du monde, il n'a pas voulu soufrir que ie suprime vne note de mon ouurage qui n'a rien à démêler avec le fons puis qu'il s'y agit des forces viues. Ie dis vne petite fadeur à mr de Mairan sur son mémoire des forces viues dans cette notte, et ie v͞s auouë que quand ie composai mon mémoire sur le feu, j'auois lu son mémoire en l'air et seulem͞t p͞r l'admirér car ie n'étois point du tout en Etat de le juger, puis que ie n'auois jamais Examinée les matières. Cependant ie suis très fâchée de voir imprimer dans mon ouurage vne chose si contraire à mes sentiments présens, et que ie seray obligée de réformer dans l'errata qui est la seule resource qui me reste. Ie v͞s auouë que ie suis un peu fâchée contre cette séuérité, qui n'est pas celle d'un homme d'esprit. Ie ne veux cependant pas m'en plaindre car ie me ferois 2 ennemis de deux personnes que ie veux ménager, ainsi gardés moi le secret. Mais que dirés v͞s quand v͞s verrés vn mémoire de mr Grandia sur le feu, imprimé à la vérité à ses frais mais auec l'aprobation des Comissaires. Ce mémoire est bien la plus platte chose, la plus superficielle, il semble que ce soit p͞r se moquer de l'Académie. Si elle donnoit souuent de ces aprobations là, elle se déshonoreroit. Le liure de mr Dutot m'a Ennuié p͞r le peu que i'en ay lu, et celui de mr Melon m'a fait vn plaisir infini. La lettre de mr de V. m'a paru bien Escrite et sensée. Ie m'entens peu du reste à ces matières et la vie est si courte et si remplie de deuoirs et de détails inu[ti]les, quand on a vne famille et vne maison, que ie ne sors guère de mon petit plan d'étude p͞r lire les liures nouueaux. Ie suis au désespoir de mon ignorance et de toutes les choses qui m'empêchent d'en sortir. Si i'étois home ie serois au mont Valerien auec v͞s, et ie planterois là toutes les inutilités de la vie. I'aime l'étude auec plus de fureur que ie n'ai aimé le monde, mais ie m'en suis auisée trop tard.
Consérués moi votre amitié, elle consolle mon amour propre.