Ie suis bien coupable, Monsieur, d'auoir tant ardé à v͞s répondre, et à v͞s remercier du Comercium Epistolicum de mr votre père et de mr de Montmort, mais, Monsieur, cette complaisance que v͞s aués eü p͞r moi est cela même qui m'a Empêché de v͞s en remercier.
I'emploie le peu de tems que les Embaras de mon départ me laissent à tâcher de profiter de cette lecture p͞r pouuoir v͞s remettre votre dépost auant mon voyage. I'espère que mon Exactitude à v͞s le renuoyer me procurera le reste à mon retour. Ie vais trauailler dans les interuales que me laisseront mes procès à me rendre plus digne de cette lecture et de votre comerce, car ie v͞s auouë que ie n'en sais pas assés p͞r en profiter come ie le voudrois. Ie voudrois bien que v͞s me mandiés auec bonté ce que v͞s pensés du petit ouurage que i'ay eü la hardiesse [de] v͞s donner. Ie l'ay relu depuis et ie me suis trouuée bien téméraire. Ie v͞s suplie de ne le montrer à persone, car ie suis bien loin d'en être contente et ie ne la serai véritablem͞t que quand ie l'aurai corigé sur vos auis. Aués v͞s lu les mémoires de nos vainqueurs? Ie v͞s auouë que ie me trouue trop bien traitée mais mr Euler doit être bien Etonné d'auoir partagé le prix auec ces deux acolytes. Ie v͞s assure que ce que v͞s me ferés l'honneur de m'en mander sur cela ne me passera pas. L'errata nouuau a été imprimé, mais on auoit distribué les exemplaires destinés aux académiciens auant qu'il y eût été joint. Le dernier article m'a fait vne terrible querelle avec mr de Mairan, mais ie n'ay pu trahir la vérité quand ie l'ay connuë, et i'ay dit sancti Bernoulli orate pro nobis. Ie v͞s Enuoie vn Exemplaire de ce nouuel Errata p͞r mr votre père. Il doit être joint à ceux que mr de Maupertuis m'a promis de v͞s faire tenir à et mr votre oncle, et mr votre frère. C'est sous vos auspices monsieur que ie me suis hazardée à le leur offrir, et ie v͞s demande auec instance de leur dire l'amitié dont i'espère que v͞s voulés bien m'honorer afin qu'elle me tienne lieu de mérite auprès d'eux. La façon dont v͞s aués pensé me refuser le comercium epistolicum de mr votre père augmente encore s'il est possible l'estime et l'amitié que votre séjour icy m'a fait conceuoir p͞r v͞s. V͞s deués être bien sûr que ie n'en abuserai pas, et que mr Koenig qui l'a déjà vû n'en fera aucun vsage. Il est arrivé d'hier, il a refusé vne chaire que lui offroit le p. d'Orange p͞r venir icy, et cela augmente infiniment mon estime et ma reconnoissance p͞r lui. Cela l'a vn peu broüillé auec ses parens, et m'a procuré mr son frère qui me paroit vn petit prodige p͞r son âge. I'espèr qu'il inspirera le goût des matématiques et de l'étude à mon fils. Ie v͞s prie monsieur de dire à mr votre père, tout ce que v͞s saués bien que ie pense p͞r lui. I'auray l'honneur de lui Escrire de Bruxelles car d'icy à mon départ ie n'ay pas le tems de me retourner. I'espère receuoir encore de vos nouvelles et que v͞s ne me punirés pas de mon silence en l'imitant.
V͞s devés auoir reçu vne lettre de mr de Voltaire et l'épitaphe de mr votre cousin. Il comte toujours sur vos mémoires p͞r faire l'histoire de la Suisse. Il me prie de v͞s faire mille tendres complimens p͞r lui. Ie v͞s assure monsieur que tout ce que l'on désire à Cirey c'est que v͞s pensiés autant aux personnes qui l'habitent qu'elles v͞s regrettent et qu'elles v͞s aiment. Ie v͞s auouë que ie serois au désespoir que vos piétistes missent vne barière entre n͞s, car il me semble que c'est là vne des plus grandes, et ie sens que ie ne pourai jamais la franchir. Ie crois deuoir v͞s demander pardon de cette longue lettre mais ie la trouue bien courte encore p͞r tout ce que j'auois à v͞s dire, et elle ne finiroit point si ie v͞s y disois à quel point ie suis Monsieur Votre très humble et très obéissante servante
Breteüil du Chastellet
Ie v͞s remercie bien de vos bontés et de votre attention p͞r le petit chien. Ie v͞s suplie de m'en ménager vn p͞r mon retour si cela est possible sans v͞s incomoder. La couleur m'est indiférente. Ie comte reuenir vers le mois de 9bre. I'enuoie ma lettre par Befort come v͞s me le marqués.
à Cirey ce 28 auril 1739