ce 15 [January 1739]
Mon cher ami, voicy vne lettre de m͞e de Bernieres que le Moussinot v͞s portera, v͞s en serés bien content.
C'est ainsi que l'amitié doit s'exprimer. Elle rend Tiriot bien coupable. Je suis bien loin d'être contente de la lettre de Tiriot, i'en suis très en colère. Il y a 3 semaines que votre ami lui a écrit, et il n'a pas encore répondu à cette lettre dont v͞s n͞s aués renuoié la copie. Votre ami en est très affligé, il dit que c'est le coup de pied de l'asne, mais il ne le dit qu'à vous, et à moi. Il escrit à Tiriot sur le ton le plus tendre, et le fons de son cœur L'est, car il aime à aimer, et on court après ses bienfaits. V͞s deuriés enuoyer chercher ce Tiriot, v͞s remettriés la vertu dans son âme qui est de bouë par malheur mais que l'on peut mouler. Engagés le à parler dans le monde come il le doit, et à escrire vne lettre tendre à mr de V. Il peut encore tout réparer. On mande à mr de V. que le désaueu de Tiriot, ou du moins son silence qui en est vn, lui fait fort; on dit même que Tiriot a respondu à quelqu'un qui lui en parloit, ie suis ami de mr de V., mais ie le suis aussi de l'abé des Fontaines. Cela seroit infâme. Mais il ne s'agit pas de compter auec Tiriot, ni de le prendre sérieusem͞t, il s'agit de le garder p͞r trompette, et de le ranger à son deuoir, et si v͞s voulés lui parler et lui montrer la lettre de m͞e de Bernières, cela sera sûrement très efficace.
M͞e de Ch. a trahi mon secret et a dit à mr de V. ce que i'auois fait p͞r lui. Cela lui a fait vn plaisir extrême, et me donne de l'autorité p͞r Exiger des changemens dans le mémoire que ie v͞s ay Enuoyé. Aussi ie le lui fais refondre. I'y trouue encore trop d'injures. Il m'a promis de les ôter toutes, mais ie voudrois aussi suprimer tout le littéraire, car vn home bien touché ne va point parler de Neuton et de mr de Feuquieres. Il faut toucher et intéresser le public, il le peut s'il le veut, mais il ne lui faut parler que de son affaire. Il pense autrement et il se rendra sûrem͞t à votre auis, il y est résolu. N͞s attendons auec impatience votre sentiment sur Le mémoire afin que la correction soit conforme à vos volontés, mais ie v͞s suplie Exigés la supression de tout ce qui n'ira pas au fait.
Toutes ces maudites affaires là me font sentir combien il seroit nécessaire de purger ce décret du parlement. Cela seroit il possible? Pensés y à loisir. Ie sais bien que ce n'est pas icy le moment, mais p͞r y paruenir il y faut penser de loin. J'achète à Paris vne maison de 2 cent mille francs, et ie ne sais pas, àcause de cette malheureuse affaire, si i'y demeurerai jamais. Car ie n'i pourois être tranquille sans cette purgation, qui au bout du compte ne doit pas être impossible et p͞r laquelle aueux, démarche &cc. ne n͞s coûteroient rien. Pensés y, mon respectable ami à votre loisir. C'est bien alors que v͞s serés notre ange gardien.
Je recomande l'affaire d'Holande, et la minutie de la Mare à vos bontés. Cette minutie est essentielle p͞r moi, et peut se réparer d'un mot.
Ie me flatte que v͞s me respondrés sur l'a[l]manack qui me regarde, et dont ie v͞s ay parlé dans ma dernière.
Voilà bien des grâces à la fois, mais on peut tout demander et tout dire à vn ami come v͞s.
Mr de Maupertuis est ici, dont ie suis rauie. Il a dit à votre ami des choses très obligeantes de mr de Maurepas.
Ie ne vous dis rien p͞r votre ami, parce que i'ay trop à v͞s dire. Vale et me ama.