1741-04-28, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à Johann Bernoulli.

Ie ne sais Monsieur à quoi attribuer votre silence depuis la lettre que ie v͞s Escrivis en partant de Paris l'hiuer dernier.
Ie crains que votre santé n'ait Eté altérée, et v͞s ne deués pas doutter de l'intérest que i'y prens ainsi qu'à la nouuele victoire que v͞s venés de remporter à l'académie.

Mon absence de Paris a Eté cause que mes ordres y ont Eté asés mal Exécutés au sujet des institutions phisiques. V͞s Estiés asurément de ceux à qui ie les destinois des premiers, et il se trouue cependant qu'on ne vient que de v͞s les Enuoier. I'ay mis ce retardem͞t à profit p͞r y joindre la lettre que ce dernier chapitre de mon liure m'attirée de la part de m. de Mairan, ma réponse à cette lettre, et l'ouurage d'un m. l'abé Deidier, Enfant perdu de m. de Mairan, qui a mis son nom à vn ouurage contre m. votre père et contre moi, que m. de Mairan et lui ont composé Ensemble. Ce sont là jusqu'à présent toutes les pièces du procès, et ie crois que m. de Mairan n'a pas lieu d'être asés content du succès de la lettre p͞r vouloir répliquer. Quoiqu'il en soit, ie sens combien ie suis indigne de défendre la vérité, mais aussi ie sens combien on Est fort auec elle. Il m'est glorieux sans doute de combatre contre le secrétaire de l'académie, mais il me l'est surtout de défendre vne vérité que m. votre père sembloit auoir mis à l'abri de toute atteinte. Son mémoire Est come vn bouclier impénétrable à l'abri duquel ie ne crains aucune attaque. C'est l'égide de Minerue.

Le fons de la question ne paroit pas Estre ce qui intéresse beaucoup m. de Mairan dans sa letre, et i'ay Eté obligée de le suiure dans ma réponse pas à pas. Cependant v͞s verés par l'ouurage de m. Deidier qu'il n'étoit pas inutile de prouuer de nouueau la fauseté du raisonement de m. de Mairan dans son mémoire de 1728 et de faire voir combien c'est vne vision Etrange de vouloir Estimer la force des corps parcequ'ils ne font point. V͞s deués v͞s souuenir Monsieur qu'à Cirei m. de Voltaire v͞s montra vne letre de m. de Mairan dans laquelle, il disoit que come aucun aduersaire n'auoit répondu à son mémoire, il comtoit qu'il auoit terminé la querele. C'etoit vn motif bien diférent qui auoit Empêché que m. votre père y répondit, mais p͞r moi, quelqu'aisé qu'il soit de faire voir la fauseté d'un raisonement si pitoyable, i'ay cru qu'il étoit Encore asés glorieux p͞r moi le de détruire, et ie vois par l'efet que ma lettre a produit, combien cela Etoit nécesaire. Ie me flate monsieur que cete petite querele littéraire me rendra votre corespondance, v͞s saués combien Elle m'est agréable, et combien ie mérite votre amitié par tous les sentimens auec lesquels ie suis, Votre très humble, et très obéissante seruante

Breteüil du Chastellet

I'ay ordoné que l'on Enuoiât aussi vn Exemplaire de mon liure à m. Daniel Bernoulli, et ie v͞s prie de lui faire mille complimens pour moi. M. de Maupertuis s'est perdu à la bataille de Neuss, on n'en a point encore de nouuelles, et i'en suis fort en peine.