1741-05-29, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à Pierre Louis Moreau de Maupertuis.

Quelqu'intéressante que soit pour moi, Monsieur, ma dispute avec mr de Mairan, Les nouvelles de ce qui v͞s touche, m'intéressent bien dauantage, mais come la curiosité n'a nulle part à cet intérêt, mon amitié Est contente de vous sauoir à Berlin en bone santé.
J'espère qu'on v͞s y renuera de Viene vne lettre que ie v͞s y Escrivis quand ie sus que v͞s y Etiés et que le comte de Harach mit dans son paquet à m. de Licheinstein. Cette lettre v͞s prouuera combien v͞s m'aués tour à tour causé d'inquiétude et de joie. Je suis charmée que v͞s preniés enfin le parti de reuenir en France. La guerre de Silesie fera des arts de la Prusse des Enfans morts nés. Le roi n'i Etant point Berlin doit Etre triste, et Paris deuient tous les jours plus digne de vous poséder. Vous voyés que ie suis bone citoyene, car ie n'espère pas profiter sitost du séjour que v͞s y ferés. Ie comence à me repentir d'auoir Entrepris cette besogne cy, mais ie suis incapable de l'abandoner. Vne aparition de votre façon seroit bien capable de me rendre du courage, vous me la faites Espérer, et ie me flatte que v͞s ne frusterés pas vne attente si agréable, et qui m'est si nécessaire. Vous pourés même si vous le voulés me rendre un très grand seruice pour mon procés, et ie crois presque auoir droit d'y comter, mais il faudra que v͞s me doniés quelques jours. Il n'est pas posible de v͞s dire par lettre de quoi il s'agit, mais ce sera vn double plaisir p͞r moi que de v͞s le dire moimême, et de vous en auoir l'obligation.

Ie suis faite p͞r v͞s ruiner, mais ie ne me puis refuser au plaisir que ie sens à v͞s Enuoier ma réponse à m. de Mairan. La siene a si mal réussi, qu'elle a fait les trois quarts du succès de la miene. Tout ce que ie puis désirer c'est qu'elle m'ai fait autant d'honeur qu'elle a fait de tort au secrétaire. On a cru l'honeur de l'académie intéressé dans sa défaite, et on n'a pas jugé à propos de lui laisser continuer la dispute. Il m'auoit tracé un chemin si facile que ie crois auoir beaucoup perdu à son silence. Si on alloit Estimer son mérite par les argumens qu'il ne fait pas, et par les objections qu'il ne détruit pas, l'académie pouroit y gagner, et c'est aparam͞t sa vuë dans la fin de la dispute. Ie suis honteuse d'auoir mêlé des plaisanteries dans une affaire si sérieuse, ce n'est assurément ni mon caractère ni mon stile, mais il faloit répondre à des injures sans se fâcher et sans en dire, et cela n'étoit pas aisé. D'ailleurs il faloit se faire lire par les gens du monde Et cela Etoit Encore plus dificile. Quant au fons de la question il ne pouuoit guère y gagner qu'en cas que la dispute eût continué, car ie ne me suis atachée dans ma réponse, qu'à faire sentir tout le ridicule de la lettre du secrétaire, à me justifier de ses acusations, et à réfuter de nouveau le paralogisme pitoyable qu'il n'auroit jamais dû faire, et qu'il ne paruiendra jamais à défendre, ie veux dire cette ridicule façon d'estimer la force d'un corps par ce qu'il ne fait point. Il ne s'est pas cru asés fort tout seul p͞r défendre cette jolie découverte. Il s'est aidé d'un mr Deidier qui diuise vn petit livre, qui a paru le même jour que la lettre de Mairan, en 2 parties. Dans la première il prouue que le discours sur le mouuem͞t doné par Bernoulli en 1726 Est plein de paralogismes, et dans la seconde que la nouuelle façon d'estimer les forces par ce que les corps ne font point Est le non plus ultra de l'esprit humain, et qu'elle a terasé les partisans des forces viues p͞r jamais. Cette seconde partie est toute contre moi, mais ce liure ne vaut pas la peine de v͞s Etre Enuoié, quoiqu'il soit tout plein d'algèbre. Il Est vrai qu'il n'i a rien de si obscur que Le mémoire de Mairan de 1728 mais il me semble pourtant que dans l'endroit que i'ay réfuté l'absurdité perce. Il pase pourtant le Mairan p͞r auoir le stile Exact et corect, à cela ie répons, qu'on lise son mémoire.

V͞s aués bien raison asurém͞t Monsieur de dire qu'en définisant le mot de force diférement, et ne voulant pas que sa mesure soit ses efets totaux sans y ajouter la condition du tems, alors il y aura bien de l'arbitraire, et il y en aura tant, qu'une même force de resort produira les mêmes efets dans des tems infinimens diférents selon qu'on lui laissera plus ou moins de liberté d'agir. Il faudra donc à toutes les diférentes circonstances changer la mesure de l'estimation de cette force, ce qui prouuc bien ce me semble que le tems n'a rien à faire dans la comunication du mouuem͞t et dans l'estimation des forces et combien on doit s'oposer à une façon de les Estimer qui mettroit l'arbitraire et l'indéterminé à la place de la précision.

Ie suis au désespoir que v͞s n'ayés pas Encore eü les institutions phisiques, et ie me suis repentie bien des fois de ne v͞s auoir pas doné le seul Exemplaire que i'euse quand v͞s passâtes ici. Ie ne doutais pas que v͞s ne les Eussiés depuis longtems, quand Praut les a trouuées toutes Empaquetés dans vn coin de sa boutique, à votre adresse. Celles que ie destinois à mr de Keiserling et à mr Jordan ont eu le même sort, et come on a fait cette découuerte pendant que v͞s Etiés à Viene, ie les ai fait porter chés mr votre père. Ie v͞s auouë qu'une des choses que ie désire le plus c'est de sauoir ce que v͞s en penserés. On a été persuadé jusqu'à ma réponse à mr de Mairan qu'il n'i auoit de moi, que le stile, mais come j'ay eu fait, imprimé, et Enuoié, ma réponse à Mairan en 3 semaines on n'a pas pu me la disputer et on m'a rendu les institutions. Ainsi il se trouue l'home du monde à qui j'ay le plus d'obligation, et ie crois que cela ne contribue pas peu à le désespérer, car on m'a mandé qu'il Etoit au désespoir. Il n'a pas douté que sa lettre ne m'atterrât, et il l'auoit si bien persuadé qu'on me complimentoit déjà de l'honeur que i'auois d'être vaincuë par lui. Mais ie me repens de v͞s tant parler de cette dispute quand ie puis v͞s parler de l'impatience auec laquelle j'attens le liure dont v͞s me parlés. Ie suis bien sûre d'y trouuer mon instruction, et mon plaisir, et si ie juge des autres par moi ie sais bien qu'on en sera content. Pour moi monsieur il ne me manquera rien p͞r l'être si ie puis comter come autrefois sur votre amitié. Ce qui est sûr c'est que rien n'altérera plus jamais la miene p͞r v͞s. Voyés ce que v͞s en feriés si v͞s ne preniés pas tout de bon le parti de me raimer. Vale.

V. v͞s a Escrit hier.