1741-06-26, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à Pierre Louis Moreau de Maupertuis.

Je veux que v͞s trouuiés à votre arivée à Paris, Monsieur, les regrets que i'ay de ne v͞s auoir pas vu, et les reproches que ie v͞s dois d'auoir trompé l'espérance que v͞s m'en auiés donée.
Je suis d'autant plus afligée que v͞s ayés pris cette maudite routte des 2 ponts, que ie suis dans l'impossibilité d'aller à Paris cette année, et que me voilà par conséquent bien Eloignée du plaisir de v͞s voir. Si v͞s retournés en Prusse v͞s ne retrouuerés plus Bruxelles sur votre chemin. Ainsi n͞s ne n͞s verons pas sitost, dont ie suis bien afligée car i'ay bien plus besoin de v͞s voir àprésent que ie veux me flater que v͞s m'aués rendu votre amitié tout à fait. J'ay bien prié m͞e Daiguillon de v͞s dire le désir que j'ay de la rauoir, quoiqu'à v͞s dire vrai j'aimerois encore mieux n'en deuoir le retour qu'à v͞s même et à la justice que j'espère que v͞s rendés à mes sentimens pour vous.

J'espère que v͞s aués Enfin les institutions phisiques, et i'ay vne Enuie de sauoir ce que v͞s en pensés que j'ay bien de la peine à modérer, quoique ie sente bien que v͞s n'aurés de longtems le tems de les lire, cependant il me seroit bien Esentiel de sauoir bientôt coment v͞s les trouuerés. On les imprime en Holande, i'ay déjà fait bien des corections, et ie ferois toutes celles que v͞s jugeriés à propos. J'espère que v͞s serés content du morceau sur la figure de la tere, et du chap. des forces viues. Je désire que v͞s le soyés de l'exposition du sistème de mr de Leibnits, et pour l'attraction v͞s m'aués paru à Cirei si modéré dans vos sentimens sur cela que ie ne crains point que v͞s me sachiés mauuais gré d'auoir quelque répugnance à l'admettre come cause des phénomènes, et à en faire vne propriété de la matière. Ie crois que v͞s ne douttés pas du désir que i'ay de voir l'ouurage dont v͞s me parlés dans votre dernière lettre de Berlin. Ie me souuiens aussi que v͞s me parlâtes ici à votre pasage d'une certaine métaphisique que v͞s aués retouchée. Enfin v͞s deués croire que i'aime trop à m'instruire p͞r n'être pas infiniment curieuse de tout ce qui vient de v͞s.

Ma réponse à m. de Mairan aura galopé toute l'Alemagne aprés v͞s. Ie v͞s l'enuoiai à Berlin quand ie v͞s y sus retourné. V͞s l'aués vû et vous en Etes vn peu content, ie crois que v͞s aués senti à la lecture de la siene que ie deuois Etre piquée, surtout après l'histoire de Koenig et ie pretens que i'ay Eté bien sage dans ma réponse et que ie m'en suis bien réfuté. Il ne répliquera point et si v͞s en parlés à m͞e Daiguillon elle v͞s dira pourquoi. Ie lui ai eü des obligations infinies dans cette afaire, et ie lui dois le succès qu'a eü ma réponse; car elle a Eté fort bien reçuë. Cependant son mémoire Est Encore loüé dans les journeaux. Ie ne sais cependant pas ce que l'on peut dire de pis d'un ouurage si ie ne l'ay pas dit du sien, et ie me flatte de plus de l'auoir prouué. C'est une Etrange avanture p͞r le coup d'essai d'un secrétaire car le stile de sa lettre Est peutêtre encore ce qu'il y a de plus mauuais.

I'ay vu dans les gazettes que m. Euller Etoit à Berlin, et qu'il Entroit au service du roi de Prusse. C'est aparement vous qui lui aués fait auoir place dans l'académie future, mais votre départ, ne dérangera t'il point les arangemens? Ie v͞s fais toutes ces questions, premièrement parce que ie m'intéresse à lui come à un home de mérite, et secondement, parce que ie voudrois lui faire tenir les institutions et ma lettre à Mairan, et ie n'ai pas Encore pu en trouuer un moien. I'ymagine que s'il Est à Berlin v͞s pourés me faire ce plaisir, et ie manderai que l'on porte le paquet chés v͞s, si v͞s voulés bien v͞s en charger.

Aués v͞s lu vne brochure sur les forces vives qui a paru le même jour que la lettre de Mairan? Ce sont ses troupes auxiliaires, car il en a pris. Cela Est d'un abé Deidier. Le liure Est moitié contre m. de Bernoulli et moitié contre moi. Il n'i a qu'un Didier qui puisse faire un tel asemblage, et ie crois que m. Bernoulli en sera vn peu choqué, car come v͞s voiés, ie me fais justice. C'est vne pièce curieuse que cette brochure. On dit que votre estampe Est grauée, i'ay grande Enuie de l'auoir, mais ie ne veux pas la tenir d'un autre que de v͞s. Si v͞s voulés me faire cette galanterie le bailli de Froulai poura me l'aporter. Il vient ici le mois prochain.

M. de Voltaire Est fort fâché que v͞s ne disiés rien p͞r lui dans vos lettres. Je témoin qu'il mérite que v͞s ne l'oubliés pas. Il v͞s a aussi Escrit à Viene, mais aparem͞t sa lettre ne v͞s Est pas Encore reuenuë. Ie pourois v͞s Enuoier des lettres de Viene qui v͞s prouueroient combien ie désirois que v͞s trouuassiés partout des marques de mon amitié. Ie v͞s asure que le service que v͞s auriés pu me rendre dans mon procés, et dont ie v͞s parlois dans la lettre qui Etoit adresée à Berlin et qui v͞s galope àprésent, n'entre p͞r rien dans le regret que i'ay que v͞s n'ayés pas passé par icy. Ie n'ai besoin d'aucun interest y͞pr en Etre afligée que de celui de mon cœur.