[c.15 juin 1738]

En vous remerciant de vos Leçons bien tendrement. Croiriez vous bien que je vous avois déjà deviné sur ma balourdize du quarré de la vitesse multipliée par la densité du mercure? J'avois déjà en partie corrigé cette erreur. J'ay sur le champ envoyé des cartons pour les autres. Dieu veuille qu'on en fasse usage. Les libraires sont d'étranges gens.

J'ay substitué à l'embaras des trois cas que vous avez relevez, cette démonstration cy, car je la crois telle (c'est mad^e du Chastelet qui me l'a indiquée). Toute force motrice ne peut donner à un corps en mouvement que l'excédent de la force, etc. Or la gravitation agit également sur les corps en repos et en mouvement, donc elle est d'une autre nature que les forces que nous connaissons, donc etc.

J'indique aussi cette belle démonstration de Neuton que tout corps mu dans un fluide de densité égale à luy perd tout son mouvement avant d'avoir parcouru trois de ses diamétres.

En vérité monsieur le chevalier Isac, quand on veut bien rassembler toutes ces preuves contre les tourbillons on doit être bien honteux d'être cartesien. Comment ose t'on l'être encore? Je vous avoue que j'avois cru que vous rompriez le charme, mais j'ay peur que nos Français n'en sachent pas assez pour être détrompez.

Vous avez bien raison de me dire que ce Zodiaque nouvau, et cette hipotèse de Fatio et de Cassini ne s'acorde pas avec mes principes. Aussi ce morceau n'est point du tout de moy.

Voicy le fait. J'étois malade, je voulois changer baucoup mon ouvrage, et gagner du temps. Les libraires impatients ont fait achever les deux derniers chapitres qui manquoient, par un matématicien à gages, qui leur a donné tout cru de vieux mémoires académiques. Cela produit nouvel embaras, nouvelles tracasseries et la douceur de notre retraite en est troublée.

Autre anecdote. Il y a un an qu'ayant des doutes que j'ay encore sur l'exactitude des raports des couleurs et des tons de la musique, ayant ouy dire qu'un père Castel travailloit sur cette matière, et imaginant que ce Castel étoit neutonien, je luy écrivis, je luy demanday des éclaircissements que je n'eus point. Nous fûmes quelque temps en commerce, il me parla de son clavessin des couleurs. J'en dis un mot dans mes élémens d'optique, je luy envoyay même le morceau. Vous serez peutêtre surpris que dans la quinzaine ce bonhomme imprima contre moy dans le mercure de Trevoux les choses les plus insultantes et les plus cruelles. Cependant les libraires de Hollande sans que je le susse ont imprimé mon ouvrage et ses louanges, et ce misérable fou se trouve loué par moy après m'avoir insulté. Quand on est loin, qu'on imprime en Hollande, et qu'on a affaire à Paris, il n'en peut résulter que des contretemps. J'ay seu depuis que ce fou de la géométrie est votre ennemi déclaré.

Autre anecdote littéraire. Un abbéétant venu demander à un des juges des nouvelles du mémoire sur le feu, numéro 7, ce juge fit entendre qu'il aprouvoit fort ce mémoire, et que si on l'avoit cru, il eût été couronné. Cependant je sçai très bien que c'étoit vous qui eütes quelque bonté pour cet ouvrage. Je dois quelquechose aux discours polis de ce juge, mais je dois tout à votre bonne volonté. Je vous avoue que je suis plus aise d'avoir eu votre suffrage que si j'avois eu toutes les voix hors la vôtre. Madame du Chastelet veut bien consentir à se déco[uvrir] à l'académie pourvu que L'académie en imprimant son essay, et en l'aprouvant n'en nomme pas l'auteur. Pour moy je renonce à cette gloire, je ne connais que celle de votre amie. Vous m'avouerez que l'événement est singulier. Il est bien cruel que de maudits tourbillons l'aient emporté sur votre élève.

Nous nous flattons que vous informerez Cirey de votre santé et de vos occupations. On ne peut se porter plus mal que je fais. Je seray bientôt obligé de renoncer à toutte étude, mais je ne renonceray qu'avec la vie, à mon amitié, à ma reconaissance, à mon admiration pour vous.

Voltaire