aux Délices 12 septb [1757]
Vous avez grande raison monsieur; la passion a plus de part que l'intérest à tous ces grands mouvements et jamais on n'a pu mieux appliquer le vers d'Horace
Je doute fort des quatre vingt cinq mille hommes. Le roy de Prusse vient de m'écrire qu'il ne luy reste qu'à vendre cher sa vie, et les restes de la liberté germanique etc. J'ay été attendri De sa lettre; et je me suis souvenu que je l'avais aimé. Mais mon goust pour la liberté et pour la retraitte, L'emporte sur tous les rois. Puissent tous ces grands tourbillons qui entrainent tant de provinces ne vous point empêcher de venir cet hiver donner le mouvement et la vie à Lausane! Venez être sultan, roy, républicain, et amant. Sous quelque forme que vous paraissiez vous serez les délices de la société. Je n'ay plus qu'une vieillesse languissante à vous offrir, mais vous la ranimerez. Les tailleurs et les plumassiers vont être employez. On vous cherche des virtuoses pour votre orquestre. Votre présence hâtera tous les préparatifs. Il se poura faire que quelques parisiens viennent à nos fêtes. Si les hommes étaient sages, voylà à quoy ils passeraient une partie de leur temps. Cela vaut un peu mieux que de s'égorger et de se nuire.
J'ay entendu dire comme vous Monsieur qu'on avait imprimé une prétendue lettre de moy dans le mercure galant de Paris il y a sept ou huit mois, et que cette lettre a occasioné quelques sottises et quelques réponses à ces sottises dans un mercure de Neuf Chatel. Je n'ay rien lu de ces ennuieuses bagatelles. Elles sont méprisées à Geneve où il y a baucoup de gens d'esprit et de bon sens. Il y a bien du temps que j'ay fait vœu de ne lire aucun journal; ils sont presque tous faits par de pauvres diables qui prennent le parti qu'on veut pour un écu et qui inondent le public de pauvretez et de mensonges, être l'objet de leurs rapsodies c'est être condamné aux bêtes.
On dit icy que la flotte anglaise a déjà débarqué à Stade. Cet événement pourait bien changer la face des affaires. On n'a point vu depuis Charlemagne tant de bruit pour si peu de chose. Vous regardez le spectacle de plus près, et vous pouriez bien devenir acteur. Vous réussirez dans ce genre de tragédie, comme dans le nôtre, et je m'intéresserai toujours monsieur à tous vos succez avec le plus tendre attachement. Madame Denis vous présente comme moy ses obéissances.
J'oubliais de vous dire que Monsieur votre frère nous a crevez à la Sabliere. Mon dieu la belle situation! Celle des Délices n'en approche pas. Adieu monsieur, conservez vos bontez pour votre nouvau suisse.
V…