1758-01-19, de Voltaire [François Marie Arouet] à Élie Bertrand.

J'ai été un peu malade mon cher philosophe, c'est un tribut que je paye à touttes les saisons, et ce tribut mange ceux de l'amitié que je vous dois.
Je ne vous ay point écrit. J'ay laissé prendre Breslau, et Lignits, et peutêtre Shwednits, et les trouppes prussiennes entrer en Moravie, sans me lamenter le moins du monde avec vous sur les misères humaines. J'ay laissé les pasteurs de Geneve, s'assembler, se remuer, s'agiter, proposer, contredire, et ne savoir que faire, sans vous en dire le moindre mot. Il y en a quelques uns qui disent qu'on n'a que des grâces à rendre à M r Dalembert qui a peint le clergé suisse, plus sage que le clergé français. D'autres sont fâchez sérieusement, d'autres affectent de l'être. Le temps adoucira tout. Ce petit orage ne submergera pas ceux qui ne sont pas de l'avis de l'omousios, et petit à petit on reviendra à ce qu'il y a de plus simple et de plus naturel.

Les affaires d'Allemagne sont un peu plus intéressantes. On dit Shwednits pris. Ne pourait on point en demeurer là? Si l'impératrice voulait renoncer à sa Silesie, on ne pillerait plus, on n'égorgerait plus. Mais quidquid délirant reges plectuntur Achivi. C'est mon refrain. Madame la markgrave de Bareith me mande que le 23 et 24 décembre dernier, il y eut des tremblements de terre considérables autour de sa ville à quatre mille à la ronde, précédez de bruits souterrains assez effrayants. Voylà encor de quoy mettre dans votre grêfe. Il résultera de vos observations que les tremblements sont plus fréquents que les aurores boréales. On ne faisait attention autrefois qu'aux aurores boréales singulières qui étaient suivies de quelque grave événement, on ne parlait que des tremblements qui engloutissaient des villes, on négligeait les autres. On découvrira peutêtre qu'il y a une douzaine de tremblements année commune dans notre petit globe, et que c'est une suitte naturelle de sa constitution. J'ay bien peur que la guerre et les autres fléaux ne soient aussi une suitte nécessaire de notre malheureuse constitution morale.

Adieu, la constitution de mon âme est de vous être véritablement attaché.

Mille tendres respects à mr et me de Freidenrik.

V.