Je ne vous avois demandé qu'une démonstration monsieur et vous m'en donnez deux.
Je vous remercie assurément de tout mon cœur de votre libéralité, et je suis bien aise de voir que ce sont les riches qui sont prodigues. Vous avez éclairci mes doutes avec la netteté la plus lumineuse. Me voicy neutonien de votre façon. Je suis votre prosélite et fais ma profession de foy entre vos mains. A la manière dont vous écrivez, je ne doute pas que votre livre ne vous fasse bien des disciples. Vous êtes si intelligible que sans doute unus quisque audiet linguam suam.
J'auray seulement le bonheur d'avoir été instruit avant les autres et d’être le premier néophite. On ne peut plus s'empêcher de croire à la gravitation newtonienne, et il faut proscrire les chimères des tourbillons.
Voilà le cas où vous êtes. J'attends votre livre avec la dernière impatience, vous serez l'apôtre du dieu dont je vous parle. Plus j'entrevois cette philosophie et plus je l'admire. On trouve à chaque pas que l'on fait, que tout cet univers est arrangé par des lois mathématiques qui sont éternelles et nécessaires.
Qui auroit pensé il y a cinquante ans que le même pouvoir faisoit le mouvement des astres et la pesanteur? Qui auroit soupçonné la réfrangibilité et ces autres propriétés de la lumière découvertes par Newton? Il est notre Christophe Colomb. Il nous a menez dans un nouvau monde, et je voudrois bien y voiager à votre suitte. Que de questions (peutêtres mal fondées) je vous ferois! Mais je me flatte que vous y répondriez avec la même bonté avec laquelle vous avez levé mes premiers scrupules.
Je vous dirois que le sistème de l'attraction, et l'anéantissement des tourbillons de matière subtile ne donnent aucune raison de la rotation des planètes sur leurs axes.
Je vous demanderois pourquoy, si la force de l'attraction augmente si prodigieusement par le voisinage, la comète de 1680 qui dans son périgée étoit presque dans le disque du soleil, et qui n'en étoit éloigné que de la huitième ou sixième partie, n'y a pas été entrainée? pourquoy les corps graves n'accélèrent plus leur chute sur la terre au bout de quelques minutes? comment mr Newton peut aporter l'aiman en preuve de son sistème, puisque selon ce sistème l'aiman devroit attirer le fer ou en être atiré en tous les sens, aulieu qu'il a un pôle qui attire et un qui repousse? Votre écolier deviendroit enfin bien importun, mais il voudroit mériter d'avoir un tel maitre. Je sens avec douleur que toute mon attention, tous mes efforts et tout mon temps me sufiroient à peine pour être un peu instruit, et que je n'ay à donner à cette étude sublime que quelques heures sans suitte, et une attention distraitte par mille objets et surtout par ma mauvaise santé. Je n'en sçais qu'autant qu'il faut pour vous admirer, et non pas pour vous suivre.
Je suis monsieur avec les sentiments les plus vifs d'estime et de reconnoissance
Votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire
à Fontaineblau ce 3 nbre 1732