ce 28 [February 1739]
Monseigneur,
Je reçois la lettre de v.a.R. du 3 février, et je luy réponds par la même voye Nous avons sur le champ répété l'expérience de la montre dans le récipient; la privation d'air n'a rien changé au mouvement qui dépend du ressort.
La montre est actuellement sous la cloche, je crois m'apercevoir que le balancier a pu aller peutêtre un peu plus vite, étant plus libre dans le vide, mais cette accélération est très peu de chose, et dépend probablement de la nature de la montre.
Quant au ressort il est évident par L'expérience que l'air n'y contribue en rien, et pour la matière subtile de Descartes, je suis son très humble valet. Si cette matière, si ce torrent de tourbillon va dans un sens, comment le ressort qu'elle produiroit pouroit il s'opérer de tous les sens? et puis qu'esce que c'est que des tourbillons?
Je vois Monseigneur que v.a.R. sait déjà les mistères. Elle sait que la terre est plus voisine du soleil d'environ onze cent mille lieues de 3000 pas géométriques en hiver qu'en été; seulement cet aprochement s'apelle son périhélie, et non son périgée; c'est quand la lune s'aproche de nous que la lune est dans son périgée secundum terram.
Or les vents n'ont pas plus l'air de venir de cet aprochement, de ce périhélie, qu'ils ont la mine d'embrazer des forêts. Car pour que les vents vinssent de cette proximité, il faudroit qu'il y eût un passage rétréci, et que quelque corps pesant et soutenu je ne sçai comment dans ce passage fît circuler l'air plus vite, comme l'eau coule plus rapidement sous les arêtes d'un pont. Mais où est ce corps entre le soleil et la terre?
Il faudroit donc que quand la lune est périgée il y eût toujours grand vent; c'est ce qui n'arrive pas.
De plus ce seroit supposer qu'il y a de l'air d'icy au soleil, ce qui est terriblement éloigné de la manière dont il a plus à dieu d'arranger l'univers. Mais que m'importent les vents, et la machine pneumatique? C'est votre machine monseigneur, qui m'importe, c'est la santé du corps aimable qui loge une si belle âme. Quoy! je suis donc réduit à dire à v.a.R. ce qu'elle m'a si souvent daigné dire, Conservez vous, travaillez moins?Vous le disiez monseigneur à un homme dont la conservation est inutile au monde, et moy je le dis à celuy dont le bonheur des hommes doit dépendre. Est il possible monseigneur que votre accident ait eu de telles suites? J'ay eu l'honneur d'écrire à v. [a.] R. par mr Plet. J'ay écrit aussi en droiture. Hélas! je ne puis être au nombre de ceux qui veillent auprès de votre personne.
Nisus et Eurialus amuserong peutêtre plus votre convalescence que ne feroient des calculs. Je ne m'étonne pas que le héros de L'amitié ait choisi un tel sujet. J'en attends les premières scènes avec impatience. Scipion, Cesar, Auguste firent des tragédies, cur non Federicus?
Votre altesse royale me fait trop d'honneur; elle oppose trop de bonté à mes malheurs. J'ay fait tant de changemens à la Henriade que je suis obligé de luy envoyer l'ouvrage tout entier avec les corrections. Si elle ordonne la voye par la quelle, il faut luy faire tenir L'ouvrage qu'elle protège, elle sera obéie. Je suis trop heureux, malgré mes ennemis. Je la remercie mille fois et tout ce que vous daignez me dire pénètre mon cœur. Que je bavarderois si ma déplorable santé me permettoit d'écrire davantage! Je suis à vos pieds monseigneur. Je ne respire guères mais c'est pour Emilie et pour mon dieu tutélaire.
Je suis avec le plus profond respect et la plus tendre reconnaissance.