15 avril 1741
Monsieur,
Si vous voulez vous appliquer sérieusement à l'étude de la nature, permettez moi de vous dire, qu'il faut commencer par ne faire aucun système.
Il faut se conduire comme les Boyles, les Galilées, les Newton. Examiner, peser, calculer & mesurer, mais jamais deviner. Mr. Newton n'a jamais fait de système: il a vu, & il a fait voir; mais il n'a point mis ses imaginations à la place de la vérité: ce que nos yeux & les mathématiques nous démontrent, il faut le tenir pour vrai, dans tout le reste il n'y a qu'à dire, j'ignore.
Il est incontestable, que les marées suivent exactement le cours du soleil & de la lune; il est mathématiquement démontré, que ces deux astres pèsent sur notre globe, & en quelle portion ils pèsent; de là Newton a non seulement calculé l'action du soleil & de la lune sur les marées de la terre, mais encore l'action de la terre & du soleil sur les eaux de la lune (supposé qu'il y en ait): il est étrange à la vérité qu'un homme ait pu faire de telles découvertes; mais cet homme s'est servi du flambeau des mathématiques, qui est la grande lumière des hommes.
Gardez vous donc bien, monsieur, de vous laisser séduire par l'imagination. Il faut la renvoyer à la poésie, & la bannir de la physique: imaginer un feu central pour expliquer le flux de la mer, c'est comme si on résolvait un problème avec un madrigal.
Qu'il y ait du feu dans tous les corps, c'est une vérité, dont il n'est pas permis de douter: il y en a dans la glace même, & l'expérience le démontre; mais qu'il y ait une fournaise précisément dans le centre de la terre, c'est une chose que personne ne peut savoir, & que par conséquent on ne peut admettre en physique.
Quand même ce feu existerait, il ne rendrait raison ni des grandes marées, ni pourquoi les marées retardent avec la lune des équinoxes & des solstices, ni de celles des pleines lunes, ni pourquoi les mers, qui ne communiquent point à l'océan, n'ont aucune marée &c. Donc il n'y aurait pas la moindre raison d'admettre ce prétendu foyer, pour cause du gonflement des eaux.
Vous demandez, monsieur, ce que deviennent les eaux des fleuves portées à la mer? Ignorez vous, qu'on a calculé, combien l'action du soleil à un degré de chaleur donné en un temps donné, élève l'eau pour la résoudre ensuite en pluie par le secours des vents?
Vous dites, monsieur, que vous trouvez très mal imaginé ce que plusieurs auteurs avancent, que les neiges & les pluies suffisent à la formation des rivières; comptez, que cela n'est ni bien, ni mal imaginé, mais que c'est une vérité reconnue par le calcul. Vous pouvez consulter sur cela Mariotte, & les Transactions d'Angleterre.
En un mot, monsieur, s'il m'est permis de répondre à l'honneur de votre lettre par des conseils, lisez les bonds auteurs, qui n'ont que l'expérience & le calcul pour guides, & ne regardez tout le reste que comme des romans, indignes d'occuper un homme, qui veut s'instruire. J'ai l'honneur d'être, &c.