1738-07-03, de Pierre Robert Le Cornier de Cideville à Voltaire [François Marie Arouet].
L'ami des Muses, quoi, Voltaire,
Le prêtre sacré d'Apollon,
Déserteur de son sanctuaire
A trahi les dieux d'Hélicon!
Sur les débris de leurs images
Une nouvelle déité
A réuni tous ses hommages:
C'est la sévère vérité.
L'Eloquence et ses tours frivoles,
Les Grâces à l'air emprunté
Les muses et leurs hyperboles
S'éclipsent devant sa clarté.
A sa voix la fable éplorée
Rentre au néant avec ses dieux
Sur un plus sublime empyrée
Se manifestent d'autres cieux.
Venus par d'indignes tendresses
Ne profane plus les autels
Et Jupiter par ses faiblesses
N'autorise plus les mortels.
Saturne, Mars, Venus, Mercure
Et l'inexplicable soleil
Inanimés dans la nature
N'en sont que le riche appareil.
Sous sa loi commune et centrale
Le soleil attire leur cours,
Mais leur course autour d'une Ovale
Les assujetit pour Toujours.
Ce sont des potentats timides
Dont un seul regard fait la loi;
Divers pouvoirs semblent leurs guides
Leur centre commun est le roi.
Mais, d'un nuage qui s'entr'ouvre
Quel éclat chassa les pâleurs;
Le soleil luit, Newton découvre
Et la lumière et les couleurs.
O toi sans qui rien n'est visible,
Qui tire l'objet du néant
Selon les corps, droite ou frangible,
Lumières étonne le savant.
Un verre en triangle analyse
Tes rayons dans l'ordre éternel
Et ma main tient, range et divise
Les prodiges de l'arc en ciel.
L'accord des rayons, o merveille!
Forme un concert harmonieux,
Ce que les tons sont à l'oreille,
Les couleurs le sont à mes yeux.
C'est son secret que la Nature
A Newton avait révélé
Mais l'énigme restait obscure
Si Voltaire n'avait parlé.
Avec les grâces du langage
Voltaire enfin a démontré;
Dans le climat le plus sauvage
Menant les mises à son gré.
Rimeur et philosophe aimable
Ecris pour la postérité;
Tes vers embellissent la fable
Et ta prose la vérité.