1776-04-06, de Voltaire [François Marie Arouet] à Achille Pierre Dionis Du Séjour.

Monsieur,

L'honneur que vous me faites de m'envoyer votre Saturne me fait sentir toute votre bonté et toute mon indignité.
Mais tout indigne que je suis de ce beau présent, il me fait faire bien des réflexions.

Nous avons connu si tard ses lunes et l'anneau de Saturne, très inutilement appelés les astres de Louis; les philosophes de notre chétif globe ont été tant de siècles sans deviner ce qui se passe autour de cette dernière planète, qu'il est clair qu'elle n'a pas été faite pour nous. Mais en même temps il est bien beau que de petits animaux de cinq pieds et demi aient enfin calculé des phénomènes si étonnants, à trois cent trente millions de lieues loin de chez eux.

Quand on songe que la lumière réfléchie de notre petite planète et de ce gros Saturne, est précisément la même; que la gravitation agit sur cinq lunes comme sur la nôtre; que nous pesons sur le soleil aussi bien que Saturne; que ses cinq lunes et son anneau semblent absolument nécessaires pour l'éclairer un peu: on est ravi d'admiration, et l'on s'anéantit, on est obligé d'admettre, avec Platon, un éternel géomètre.

Ceux qui comme vous, monsieur, entrent dans ce vaste et profond sanctuaire, me paraissent des êtres bien au dessus de la nature humaine. Je vous avoue que je ne conçois pas comment un génie occupé des lois de l'univers entier, peut descendre à juger des procès dans un petit coin de ce monde nommé la Gaule.

Cependant puisque Newton, de qui Halley disait:

Nec propius fas est mortali attingere divos.

n'a pas dédaigné d'être à la tête des monnaies d'Angleterre, on ne peut pas se fâcher que vous ayez la bonté d'être conseiller au parlement. Puissiez vous, monsieur, réformer notre jurisprudence, comme vous perfectionnez notre académie!

Je suis avec le plus sincère respect &a.