26e mars 1765, au château de Ferney par Genève
Je n'ai reçu que depuis peu de jours, monsieur, le livre dont vous avez bien voulu m'honorer; le voyageur qui devait me l'apporter il y a longtemps l'avait oublié à Paris.
Des fluxions horribles que j'ai sur les yeux ne m'ont pas empêché de le lire; le plaisir de m'instruire l'a emporté sur les douleurs que je ressens. Je suis menacé depuis deux ans de perdre entièrement la vue, et vous seriez obligé en conscience de me guérir pour réparer le mal que vous m'avez fait en me donnant un plaisir extrême. Je dirai de vous ce que Halley disait de Neuton: nec propius fas est mortali attengere divos? Vous touchez aux premiers principes; il semble que vous deviniez le secret du créateur.
Je suis d'ailleurs entièrement de votre sentiment sur la sensibilité et l'irritabilité; mais que doit on en conclure? Vous n'osez le dire, ni moi non plus. Tout ce que je peux dire hardiment, c'est que je vous regarde non seulement comme un excellent physicien, mais comme un très grand philosophe. Je suis plein de vénération pour votre mérite, et je vous prie de me compter parmi ceux qui vous admirent le plus.
C'est avec ces sentiments que j'ai l'honneur d'être, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
Voltaire