1765-08-23, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha.

Madame,

Je me suis privé pendant une année entière de l'honneur et de la consolation d'écrire à vôtre Altesse sérénissime.
Des fluxions horribles sur les yeux qui me privaient entièrement de la vue, mon inutilité, mon ensevelissement dans la retraitte retenaient dans le silence les sentiments qui m'attacheront à vôtre personne jusqu'au dernier moment de ma vie. Mais aiant apris ce que vous daignez faire pour les Calas, je me sens ranimé par vôtre belle âme. La reconnaissance et l'admiration sont mes devoirs auprès de vous. Je bénis la fin de ma carrière quand je vois un cœur comme le vôtre réparer si noblement le mal que l'injustice et le fanatisme ont fait aux hommes. La superstition n'a jamais fait que du mal, et la philosophie ne peut faire que du bien. Vous joignez à cette véritable philosophie un cœur compatissant et généreux, qui est encor au dessus de la connaissance de la vérité.

Puisse le ciel prolonger vos beaux jours au gré de tous ceux qui ont eu l'honneur de vous connaître. Les princes vos enfans doivent être à présent dans un âge où le cœur profite des grands éxemples. Que ne puis-je être le témoin de leurs progrès, et voir de mes yeux combien ils sont dignes de leur respectable mère!

La Princesse vôtre fille m'a paru digne d'un trône, et je suis étonné qu'elle n'en ait pas encor un. Je ne perds jamais de vue cette auguste et vertueuse famille. Les jours que j'ai passés dans vôtre cour me sont toujours présents, ils font la consolation de mes souffrances. Je me sens dévoué, Madame, à vôtre Altesse sérénissime comme si j'étais tous les jours à ses pieds. Je crois encor entendre cette bonne et charmante maîtresse des cœurs qui pense en tout comme sa souveraine. Je me mets aux pieds de Monseigneur le Duc De Gotha. Agréez le profond respect du plus vieux et du plus humble de vos serviteurs.

Voltaire