1742-11-24, de Voltaire [François Marie Arouet] à César de Missy.
Ode
sur les affaires du temps
faitte le 30 juin de l'année 1742
Fille de ces héros que l'empire eût pour maître,
Digne du trône auguste où l'on vit tes ancêtres,
Toujours près de leur chutte et toujours affermis,
Princesse magnanime
Qui jouis de l'estime
De tous tes ennemis,
Le français généreux, si fier et si traitable,
Dont le goust pour la gloire, est le seul goust durable,
Et qui vole en aveugle où l'honneur le conduit,
Inonde ton empire,
Te combat et t'admire
T'adore et te poursuit.
Par des nœuds étonnants l'altière Germanie
A ses puissants rivaux malgré soy réünie,
Fait de l'Europe entière un objet de pitié,
Et leur longue querelle
Fut cent fois moins cruelle
Que leur triste amitié.
Ainsi du pôle austral et des astres de l'Ourse
Deux nuages épais sont portés dans leur course
Sur des vents orageux l'un à l'autre opposez,
Et tandis qu'ils s'unissent
Les foudres retentissent
De leurs flancs embrasez.
Quoy, des dieux bienfaisants ordonnent ces tempêtes!
Ils annonçoient le calme, ils tonnent sur nos têtes!
Rois, voulez vous conduire à la félicité
Les nations tremblantes
Par les routes sanglantes
De la calamité?
O vieillard vénérable à qui les destinées
Ont de l'heureux Nestor accordé les années,
Sage que rien n'allarme, et que rien n'éblouit,
Veux tu priver le monde
De cette paix profonde
Dont ton âme jouit?
Ah, s'il pouvoit encore au gré de sa prudence
Tenant également le glaive et la balance,
Fermer par des ressorts aux mortels inconnus,
De sa main respectée
La porte ensangl ntée
Du temple de Janus!
Si de l'or des français les sources égarées,
Ne fertilisoient plus de lointaines contrées,
Raportoient l'abondance au sein de nos remparts,
Embellissoient nos villes,
Arrosoient les aziles
Où l'anguissent les arts!
Beaux arts, enfans du ciel, de la paix et des grâces,
Que Louis en triomphe amena sur ses traces,
Ranimez vos travaux si brillants autre fois,
Vos mains découragées,
Vos lires négligées
Et vos timides voix.
De l'immortalité vos succez sont le gage,
Tous ces traittez rompus, et suivis du carnage,
Ces tri[o]mphes d'un jour, si vains, si célébrez,
Tout passe et tout retombe
Dans la nuit de la tombe
Et vous seuls demeurez.

Voylà l'ode d'un citoyen. Elle pouroit figurer à la suitte d'une tragédie qui est l'ouvrage d'un citoyen de l'univers. J'attends de vos nouvelles mon cher monsieur. Vous savez qu'on imprime aussi cette tragédie en Hollande, mais avec une préface de votre façon elle réussiroit en Angleterre plus qu'ailleurs.

Je vous prie de m'écrire au fauxbourg st Honoré. J'ay bien peur que ce paquet ne vous parvienne pas aussi tôt que je le voudrois. Je crois que la poste est déjà partie, et que mon paquet attendra encor quatre jours.