Ce 3 xbre [1771] au Parnasse
Dialogue entre le Nestor & moi
Le N. Combien vous donne votre Banneret pour m'importuner? M. Cent mille écus d'estime & d'amitié pour chaque mot que je dis en sa faveur. Le N. Cette monnoye ne va point aux marchés. M. C'est la monnoye des Philosophes, des philantropes, des honnêtes gens; & les fripons ne peuvent pas la voler. Le N. Huit jours de retard ne font rien au Banneret, & sont beaucoup pour moi. Je serais un vilain si je n'attendais pas que Cramer eût mis en vente ce huitième volume. M. Je vous supplie, mon cher Papa, d'y ajouter un ou deux articles, afin que le Banneret vous aït ainsi qu'à moi une obligation double. Le N. Eh bien! faites en un & j'en ferai un autre. M. Oui, j'en ferai un bien ou mal.
Ce sera donc mardi prochain d'aujourd'hui en huit que le Nestor ou moi nous vous enverrons le huitième volume, qui, selon mes conjectures différentes de celles que j'avais faites cy devant, sera suivi de deux autres volumes, nec plus ultrà.
J'ai lu au Nestor votre lettre du 30 9bre. Il m'a dit qu'étant à Lausanne sa vache n'avait pu entrer dans la ville, moins encor dans sa maison, & que très peu s'en fallut qu'elle ne fût saisie & confisquée.
Quant aux 3 brochures (dont la réimpression lui semble très lucrative) il vous traite, Messieurs, de Poltrons, d'Enfans & de pis encor, le tout par amitié pour vous.
Sans faire semblant de rien, j'ai sauté par dessus l'article Helvetius, lorsque je lui ai lu votre lettre.
Franchement je vous dirai que vous avez fait une grosse faute d'omission en ne faisant pas réponse à cet honnête homme, dont je captivais pour vous la bienveillance typographique de tout mon mieux. Je veux bien être le Bouc émissaire & me chargér de votre péché, que je ferai retomber sur moi tout seul. Demain mercredi ma lettre partira; je mentirai comme un vrai charlatan pour vous mieux disculper. Mendaciolo utí officioso interdùm licet, dit Cicéron.
Une société de riches Anglais, demeurant près de Londres, veut faire une riche édition de toutes les œuvres Nestoriennes. Le Nestor, amateur de la célébrité, y donne les mains, il fait à ses mêmes œuvres des corrections, des retranchemts, des additions que ma plume copie journellement.
Quoique le secret ne m'ait pas été recommandé expressément, je vous supplie, Messieurs & très chers amis, de ne le pas divulguer.
Je suis moralement certain que le Nestor, qui vivra & travaillera encor plusieurs années, vous fera faire une autre édition plus ample de ses œuvres nées & à naitre; la quelle fera tomber celle de Londres; la vôtre ensuite sera éclipsée par une autre.
Scripta renascentur quae jam cecidere cadentque. Hor. Il ne s'en fait pas le moindre scrupule.
Un neveu, chéri du Nestor, chevalier de st Louis, retiré du service, est venu dès la semaine dernière de Paris passer ici l'hyver. C'est le frère de la Nièce favorite. Il me parait très aimable. Je le jalouse, & crains qu'il ne m'enlève une part de la bienveillance du Nestor, de laquelle dépend tout mon salut.
Voulez vous, mes chers & respectables amis, que je vous envoye par la 1e occasion les 3 bonnes brochures lucratives que je vous ai offertes? Elles sont toute prêtes bien enveloppées, & mises à part dans une auberge de Genève que j'ai affectionnée?
Ah mon Dieu! que les jours sont courts! Je ne puis faire toute ma besogne épistolaire. Excusez moi auprès de notre vertueux ami Morela; je n'ai pas le loisir de répondre à sa derniére lettre, dont j'enrage. Qui le croirait? J'ai moins lu au Parnasse depuis 3 mois que je ne lisais en 8 jours à Peseux.
Peseux est un vilain séjour; quand le fameux Berger m'y logerait pour rien, & que même il me donnerait de l'argent pour être mon hôte, je n'en voudrais pas; sa femme est la femme la plus femme que je connaisse. Il faut selon moi qu'un homme ait quelque ressemblance avec le beau sexe, & qu'une femme ait quelque qualité virile. Disons cela en vers avec plus d'élégance,
D'un sexe à l'autre un peu de ressemblanceDe tous les deux augments l'excellence.
Valete.