[1769]
L'accueil favorable que vous avez bien voulu faire aux vers que je vous adressai l'année dernière, m'autorise à vous en présenter de nouveaux.
J'ose espérer que vous les recevrez avec la même indulgence. Boileau lisoit ceux de l'abbé Cotin. Il est vrai, dit on, qu'il y fut souvent déterminé par l'envie d'aiguiser sur lui les traits satiriques dont il l'a accablé; mais vous, monsieur, vous aurez un motif différent: vous lirez par complaisance ceux d'une femme qui n'a d'autre objet en rimant, que l'envie de vous écrire; les éloges flatteurs dont vous l'avez déjà couronnée, lui ont peut-être un peu tourné la tête, pas pourtant au point de les croire mérités; l'illusion serait trop forte; mais bien assez pour lui faire vivement regretter se n'avoir aucune ressemblance avec cette Sapho à qui vous la comparez. Quels droits n'a pas une muse? Ah! si je l'étais effectivement, je ferais bien valoir les miens vis à vis de l'Apollon de nos jours. Mais nous ne sommes plus au temps des métamorphoses. C'est un miracle qui se ferait peut-être, si j'étais à portée de vous voir & de vous entendre. Le sort de Sapho ne sauroit m'effrayer. Dussiez vous faire comme Phaon, j'en courrais volontiers les risques. Elle le fixa longtemps, & mourut fort prudemment dès qu'il l'eut abandonnée. En effet c'est être très sage, que de renoncer à la vie dès l'instant qu'on n'y prévoit plus de plaisirs. Pour vous, monsieur, que vos ouvrages ont éternisé; vous, destiné à être le flambeau des mortels, vous jouirez longtemps de l'avantage de voir l'admiration publique rendre justice à vos talents. Le feu de l'imagination ne s'éteindra jamais chez vous, & tant qu'il parle en nous, nous ne sentons pas le poids des années. Vous avez beau vous récrier sur votre âge & sur ses inconvénients, je ne crois pas plus à l'un qu'à l'autre:
Vivez, monsieur, vivez pour le bien de l'humanité: soyez le mécène de ceux à qui une noble émulation inspire le désir d'entrer dans une carrière épineuse. Enseignez leur par vos divins écrits à développer avec art & à offrir sous un jour avantageux les choses les moins suceptibles d'être brillantées. Vous naquîtes pour leur avantage, vous seriez un second Nestor pour leur bonheur. La Grece eut ses sept sages; l'ancienne Rome ses philosophes: la France a produit quelques poètes; mais l'univers entier n'a eu qu'un Voltaire. C'est un présent que la nature ne saurait répéter, & qu'en bonne mère elle nous conservera soigneusement. Tels sont les vœux des Français, & particulièrement de celle qui a l'honneur d'être,
votre très humble servante,
la marquise d'Antremont