1767-04-02, de Voltaire [François Marie Arouet] à Anne Marie Fiquet Du Boccage.

Bion et Moschus, Madame, vous ont bien de l'obligation de les avoir embellis; et moi d'avoir bien voulu m'envoier vos deux très jolies imitations.
Je m'imagine que vôtre beauté est tout comme vôtre esprit. Vous étiez très belle quand vous passâtes par ma cabane en revenant des palais d'Italie. Vous ne devez avoir changé en rien. Une femme ne s'avise point de faire des vers amoureux sans inspirer de l'amour.

Mon petit Laharpe est enchanté de la bonté que vous avez de le faire normand. Le voilà enrôlé sous vos drapeaux. C'est Sapho qui met Phaon de son académie. Il a plus d'esprit et de génie que Phaon, et peut être autant de grâces. Celà n'a que vingt sept ans.

Il semble fait également
Et pour le Pinde et pour Cithère,
Et pourait être vôtre amant
Aussi bien que vôtre confrère.

Mais je vous avertis, Madame, qu'il est coupable comme moi de préférer Jean Racine à Pierre Corneille. J'ai peur que dans le fond de l'âme vous ne tombiez dans le même péché. Je crois que c'est à cause de mon hérésie que Cideville ne m'écrit plus; il m'a abandonné tout net comme un réprouvé. Faittes moi grâce. Il ne faut pas que je sois excommunié partout.

Mille remerciements, madame, et mille respects.

V.

Comptés que je vous suis attaché pour le reste de ma vie.