1769-04-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à Michel Paul Guy de Chabanon.

J'aprends que le père d'Eudoxie donne à sa fille un beau trousseau dans sa seconde édition.
Heureusement le libraire de Genêve n'a point encor commencé la sienne. Ainsi, mon cher ami, j'attendrai que vous m'aiez envoié la nouvelle Eudoxie pour la faire mettre dans ce recueil; plus vous aurez mis de beautés de détail dans vôtre ouvrage, et plus il sera touchant. Ce n'est que par ces détails qu'on va au cœur. Ce n'est que par eux que Jean Racine fait verser des larmes. Les situations, les sentences ne sont presque rien, il y en a par tout; mais les beaux morceaux qu'on retient malgré soi, et qui vont remuer le fond de l'âme, font seuls passer leur homme à la postérité.

Je suis très en peine de vôtre ami mr De La Borde. Il m'avait écrit il y a deux mois pour une affaire importante, et depuis ce tems je n'ai eu aucune nouvelle de lui, quoi que je lui aie écrit trois Lettres consécutives. Je lui avais envoié un paquet pour made Denis, point de nouvelle de mon paquet. Aurait il abandonné Pandore, ses affaires, ses amis pour une femme dans laquelle on dit qu'il est enterré jusqu'au cou? Il faut sans doute aimer sa maîtresse, mais il ne faut pas abandonner tout le monde. Vous avez pourtant la mine d'en faire autant que lui.