1767-12-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Michel Paul Guy de Chabanon.

Ami aussi essentiel qu'aimable, aiez tout pouvoir sur Pandore.
Vous me donnez le fond de la boëte, et j'espère tout de vôtre goût, de la facilité de Mr De La Borde. A l'égard de ma docilité vous n'en doutez pas.

Je suis bien étonné qu'on ait fait un opéra d'Ernelinde, de Rodoald et de Ricimer. Celà pourait faire souvenir les mauvais plaisants

De ce plaisant projet d'un poëte ignorant
Qui de tant de héros va choisir Childebrand.

Le bizare a succédé au naturel en tout genre. Nous sommes plus savants sur certains chefs intéressants, que dans le siècle passé; mais adieu les talents, le goût, le génie et les grâces.

Mes compliments à Rodoald; je vais relire Atis.

J'ai peur que vous ne soiez dégoûté de l'Empire romain et d'Eudoxie depuis que vous avez vu la misère où les pauvres acteurs sont tombés. On dit qu'il n'y a que la Sorbonne qui soit plus méprisée que la Comédie française.

J'envie le bonheur de Mr Dupuits qui va vous embrasser. Je félicite Mr De La Harpe de tous ses succès. Il en est si occupé qu'il n'a pas daigné m'écrire un mot depuis qu'il est parti de Ferney.

Made Denis vous regrête tous les jours. Elle brave l'hiver, et j'y succombe. Je lis et j'écris des sotises au coin de mon feu pour me dépiquer.

J'ai reçu d'excellents mémoires sur l'Inde. Celà me console des mauvais livres qu'on m'envoie de Paris. Ces mémoires seraient mal reçus peut être d'une partie de vôtre académie, et encor plus de vos théologiens. Il est prouvé que les Indiens ont des livres écrits il y a cinq mille ans. Il nous sied bien après celà de faire les entendus! Leurs pagodes qu'on a prises pour des représentations de diables sont évidemment les vertus personifiées.

Je suis las des impertinences de L'Europe. Je partirai pour l'Inde quand j'aurai de la santé et de la vigueur. En attendant, conservez moi une amitié qui fait ma consolation.

V.