1767-12-21, de Voltaire [François Marie Arouet] à Michel Paul Guy de Chabanon.

Mon cher ami, vous me faittes aimer le péché original.
St Augustin en était fou, mais celui qui inventa la fable de Pandore avait plus d'esprit que st Augustin, et était beaucoup plus raisonnable. Il ne damne point les enfans de nôtre mère Pandore, il se contente de leur donner la fièvre, la goute, la gravelle par héritage. J'aime Pandore, vous dis-je, puisque vous l'aimez. Tout malade, et tout héritier de Pandore que je suis j'ai passé une journée entière à rapetasser l'opéra dont vous avez la bonté de vous charger. J'envoie le manuscrit qui est assez gros à Mr De la Borde en le priant de vous le remettre. Je lui pardonne l'infidélité qu'il m'a faitte pour Amphion. Cet Amphion était à coup sûr sorti de la boëte; il lui reste l'espérance très létigime de faire un excellent opéra avec vôtre secours.

Mlle Dubois m'a joué d'un tour d'adresse, mais si elle est aussi belle qu'on le dit, et si elle a les tétons et le cu plus durs que Mlle Durancy je lui pardonne; mais je n'aime point qu'on m'impute d'avoir célébré les amours et le stile de mr Dorat attendu que je ne connais ni sa maitresse, ni les vers qu'il a faits pour elle. Cette accusation est fort injuste, mais les gens de bien seront toujours persécutés.

Père Adam est tout ébourifé qu'on ait chassé les jésuites de Naples la bayonette au bout du fusil; il n'en a pas l'apétit moins dévorant. On dit que ces jésuites ont emmené avec eux deux cent petits garçons et deux cent chêvres; c'est de la provision jusqu'à Rome. Il ne serait pas mal qu'on envoiât chaque Jesuite dans le fond de la mer, avec un janséniste au cou.

Made Denis mangera demain vos huitres, je pourai bien en manger aussi pourvu qu'on les grille. Je trouve qu'il y a je ne sais quoi de barbare, à manger un aussi joli petit animal tout crud. Si messieurs de Sorbonne mangent des huitres je les tiens antropophages.

Je vous recommande, mon cher confrère en Apollon, l'Empire romain et Pandore. Nous vous aimons tous comme vous méritez d'être aimé.

V.