25e juin 1777, à Ferney
Vous pouriez donc, Monsieur, humiles habitare casas non figere cervos, vous pouriez venir avec Monsieur Suard et Monsieur De Garville, dans ce coin de l'univers où j'achève ma vie loin du monde, Venez, vous prolongerez ma chétive carrière, ou vous en rendrez la fin heureuse.
Venez, Monsieur, me rendre, s'il est possible, aux beaux arts et à la société. J'ai perdu causas vivendi, la santé, le sommeil, l'appétit, tout ce qui attache à la vie. Si quelque chose peut me ressusciter ce sera assurément le plaisir de m'entretenir avec vous.
Je supose que vous allez voir le païs dont Mr De La Borde fait la description, et les singulières montagnes qu'il met en taille douce. La Suisse devient tous les jours digne de la curiosité des gens qui pensent. Je rendrai de grandes grâces à la destinée de me trouver sur la route, et je commence par vous les rendre d'avoir bien voulu penser à moi. Je dois vous faire des excuses d'un fatras dont je vous ai importuné, et que je vous ai suplié de faire passer à l'ami Pankouke. Mais selon ce qu'il me mande il doit être actuellement en chemin pour Genêve. Cramer et lui sont des savants qui viennent se consulter de temps en temps.
Je ne sçais, Monsieur, si vous êtes un savant du premier ordre; mais je pense que les savants auraient beaucoup à aprendre avec vous. Hélas que me servirait-il d'aprendre dans le triste état où je suis réduit! La Science de digérer est assurément la première de toutes, mais tout me manque, vous serez ma consolation.
Vôtre projet du mois d'auguste est le fond de la boëte de Pandore pour un homme qui est assiégé de tous les maux.