1767-11-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Michel Paul Guy de Chabanon.

L'anecdote parlementaire que vous avez la bonté de m'envoier, mon cher ami, m'est d'autant plus prétieuse, qu'aucun écrivain, aucun historien de Louïs 14 n'en avait parlé jusqu'à présent.

Et voilà justement comme on écrit l'histoire.

Vous êtes bien plus attentif que le victorieux auteur de l'éloge de Charles 5. Il ne m'a point apris d'anecdote, car il ne m'a point écrit du tout. Je présume qu'il passe fort agréablement son temps avec quelque fille d'Aron Aralschild.

Je ne sais pas la moindre nouvelle des tripots de Paris. J'ignore jusqu'au succez des doubles croches de Philidor; et je suis toujours très affligé de l'avanture des croches de nôtre ami Mr De La Borde. J'ai sa Pandore à cœur, non parce que j'ai fourni la toile qu'il a bien voulu peindre, mais parce que j'ai trouvé des choses charmantes dans son éxécution; et je souhaitte passionnément qu'on joue le péché originel à l'opéra. Vous me direz qu'il ne mérite d'être joué qu'à la foire St Laurent. Celà est vrai si on le donne sous son véritable nom; mais sous le nom de Pandore elle mérite le théâtre de l'académie de musique. Je vous prie toujours d'encourager Mr De La Borde; car pour vous, mon cher ami, je vous crois assez encouragé à établir vôtre réputation en détruisant l'Empire Romain. Mais commencez par établir un théâtre, vous n'en avez point. La comédie française est plus tombée que l'empire romain.

Nous n'avons plus de soldats dans nos déserts de Ferney. L'arrêt des augustes puissances contre les illustres représentants est arrivé, et a été plus mal reçu qu'une pièce nouvelle. Vous ne vous en souciez guère, ni moi non plus.

Maman, et toute la maison vous font les plus tendres compliments. J'enchéris sur eux tous.

V.