1767-11-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Michel Paul Guy de Chabanon.

Vous êtes assurément un plus aimable enfant que je ne suis un aimable papa.
C'est ce que toutes les dames vous certifieront, depuis les portes de Genêve jusqu'à Ferney. Vous allez faire à Paris de nouvelles conquêtes; mais j'espère que vous n'abandonnerez pas l'Empire romain et les Vandales.

Je sais que le tripot de la Comédie est tombé comme cet Empire. Il n'y a plus ni acteurs, ni actrices. Mais vous travaillerez pour vous même. Un bon ouvrage n'a pas besoin du tripot pour se soutenir, et vous le ferez jouer à vôtre loisir quand la Scène sera un peu moins délabrée. Je voudrais être assez jeune pour jouer le rôle de l'ambassadeur vandale sur nôtre petit théâtre, mais vous aurez assez d'acteurs sans moi; car j'espère toujours vous revoir icy; je suis comme toutes nos femmes; elles n'ont qu'un cri après vous, et made Delaharpe sera une très bonne Eudoxie.

Mon cher confrère en Tragédies, avez vous vu mr De La Borde vôtre confrère en musique? Amphion ne doit pas l'avoir découragé. Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que dans sa Pandore il y a bien des morceaux qui vont à l'oreille et à l'âme. Ranimez, je vous prie, sa noble ardeur; il ne faut pas qu'il enfouïsse un si beau talent. Il me parait surtout entendre à merveille ce que personne n'entend; c'est l'art de dialoguer. Vous ferez quelque jours un bien joli opéra avec lui, mais je ne prétends pas que Pandore soit entièrement sacrifié.

Nos dames sensibles à vôtre souvenir vous écriront des Lettres plus galantes; mais je vous avertis que je suis aussi sensible qu'elles tout vieux que je suis. Ma santé est détestable, mais je suis heureux autant qu'un vieux malade peut l'être. Vôtre façon d'être heureux est d'une espèce toute différente.

Adieu, je vous souhaitte tous les genres de félicité dont vous êtes très digne.