9e septembre 1768
Mon cher ami, mon cher confrère, il y a tantôt deux mois que je n'ai écrit à personne.
J'avais fait un travail forcé qui m'a rendu longtems malade; mais en ne vous écrivant point je ne vous ai pas oublié, et je ne vous oublierai jamais.
Vous avez eu tout le tems de coëffer Eudoxie, et je m'imagine qu'à présent c'est une Dame des mieux mises que nous aions. Pour Pandore je ne vous en parle point. Nôtre Orphée a toujours son procez à soutenir, et son père mourant à soigner. Il n'y a pas moien de faire de la musique dans de telles circonstances. Est-il vrai que celle du Huron soit charmante? Elle est d'un petit Liegeois que vous avez peut être vu à Ferney. J'ai bien peur que l'opéra comique ne mette un jour au tombeau le grand opéra Tragique. Mais relevez donc la vraie Tragédie qui est, diton, anéantie à Paris. On dit qu'il n'y a pas une seule actrice suportable. Je m'intéresse toujours à ce maudit Paris, du bord de mon tombeau.
On dit que l'oraison funêbre de nôtre ami Jean George est un prodige de ridicule, et pendant qu'il la débitait on lui criait, Finissez donc! C'est un terrible Welche que ce Jean George; on dit qu'il est pis que son frère. Les Pompignans ne sont pas heureux. Je n'ai point vu la pièce; mais on m'en a envoié de petits morceaux qui sont impaïables.
J'ai lu une brochure assez curieuse, intitulée Les droits des hommes et les usurpations des autres. Il s'agit des usurpations de nôtre st Père le Pape sur la suzeraineté du Roiaume de Naples, sur Ferrare, sur Castro et Ronciglione etca, etca. Si vous êtes curieux de la lire je vous l'enverrai pourvu que vous me donniez une adresse. Adieu mon cher ami, aimez toujours le vieux solitaire, qui vous aimera jusqu'au tems où l'on n'aime personne.