2e octobre 1774
J'aurais bien voulu, Monsieur, passer quelques jours avec vous dans le château dont j'ai vu naître le seigneur, mais je ne suis pas comme les jeunes dragons; je ne puis courir, et j'attends patiemment dans mon lit la camarde muette qui met fin à toutes les tracasseries.
Vous m'aprenez que Mr L'Evêque de Laon est un Rochechouart; c'est un nom que je respecte, et ce que vous me dites de cet Evêque me le rend bien plus respectable. Je ne sais point du tout ce que c'est que la phisique de son diocèse dont vous me parlez; mais je sais très bien qui sont les auteurs de cette Lettre d'un prétendu théologien. Je ne le dirai pas; car je ne veux pas me brouiller avec ceux qui travaillent pour la bonne cause. Je ne veux pas non plus me brouiller avec vous, parce que vous ne m'avez pas soupçonné sans doute, d'être assez fat pour me louer moimême, ni d'être assez géomêtre pour éxaminer le systême des cordes vibrantes de Dalembert (il est question de ces cordes vibrantes dans la lettre de ce théologien), dont je n'ai jamais entendu parler; ni assez imprudent pour attaquer tout le clergé en général avec la même violence que Pascal tombait sur les jésuites dans les dernières Lettres provinciales. J'en ai dit mon sentiment à ces messieurs; je leur ai représenté combien il est dangereux d'insulter un corps qui est le premier du roiaume comme l'étaient les Druides, et qui a plus de richesses que les financiers. J'ai été très fâché, surtout, qu'on eût dans cette Lettre, outragé L'abbé de Voisenon qui est mon ami depuis quarante ans.
Je ne puis vous exprimer la colère où je serais contre ceux qui auraient l'injustice de m'imputer cet ouvrage.
Pour la petite brochure sur l'oraison funêbre, c'est autre chose. J'en ai fait venir deux éxemplaires de Lyon pour vous les envoier. Vous verrez que l'auteur a pensé comme vous sur l'oraison funêbre des jésuites, et sur la satire de Louis 15.
Quand vous reviendrez à Paris, Monsieur, tâchez je vous en prie, de trouver Ferney sur vôtre route. Vous pourez voir aux Deux ponts Mr De Fontanelle, qu'on prendrait volontiers pour Mr de Fontenelle. S'il vous tombe sous la main seriez vous assez bon pour lui dire qu'il a en moi un très zèlé partisan dont il n'a nul besoin?
Une très belle voix que Dieu nous a envoiée nous a chanté des morceaux d'Iphigénie et d'Orphée qui nous ont fait un extrême plaisir. Ce qui m'en a fait encor beaucoup c'est l'arrêt du conseil sur la liberté des bleds. Ce qui m'en ferait davantage, aussi bien qu'à Made Denis, ce serait d'avoir l'honneur de vous posséder dans nôtre ermitage.
V.
J'ay été aussi aise du rétablissement de la santé de Monsieur le duc de Choiseul que fâché de sa méprise sur mon compte.