1765-10-26, de Jean Benjamin de Laborde à Voltaire [François Marie Arouet].

 . . . Vous vous devez à tous, monsieur, et celui de la musique, qui fait mon unique amusement, et la plus grande partie de mes occupations depuis mon enfance, tient de trop près à la poésie, pour que vous ne le protégiéz pas un peu. La musique italienne a fait de grands progrès en France, depuis mon maître que vous appeliez l' Orphée Rameau. La dispute sur la préférence de la musique française et italienne n'y a rien ajouté; on n'a pas voulu avouer qu'il n'y en avait qu'une bonne, et une mauvaise: peu de gens ont l'oreille assez sensible à la poésie et à la musique pour avoir senti que l'accent de la langue devait avoir une influence nécessaire sur la musique; vous êtes de ce petit nombre, monsieur, puisque vous savez bien mieux que moi combien les vers tendres et touchants de Zaïre perdraient à être déclamés par la meilleure actrice d'Italie. Les passions sont les mêmes dans tous les pays, mais leur accent est différent, il n'y a peut-être que le cri que la douleur arrache à la nature qui soit semblable chez toutes les nations. Cette malheureuse dispute a produit un autre mal en nous procurant l'opéra-comique, espèce de monstre bizarre, né des opéras ballets, et des plus basses comédies. Ce nouveau genre de spectacle a presque détruit en France, le goût du vrai beau; les sublimes poèmes de Quinault sont perdus pour nous, et ne peuvent presque plus être entendus. . . .

 . . . Le plus beau jour de ma vie sera celui où vous me permettrez de voir mon nom précédé du vôtre et je serai trop heureux si on se souvient de moi après vous avoir entendu. . . .

Laborde premier valet de chambre du roi