à Fontainebleau Le 19 9bre 1765
Les temps ne sont pas encore arrivés, Monsieur; Les Morts ne ressuscitent point.
Adélaide n'étoit qu'en léthargie; heureusement pour nous vous l'en avés fait sortir, et elle a bien La fraicheur du réveil de la beauté. Je voudrois pouvoir être le Tronchin de Pandore comme vous avés été celui d'Adélaide. J'employerai sûrement tout mes soins pour y parvenir, et ce ne sera que la faute de mes talens si elle se r'endort Lors que je L'aurai réveillée. Quelque soit son destin, je Lui devrai toujours le plaisir d'avoir reçu de vous une lettre charmante, et qui n'est pas dans le cas où vous prétendés être; car, vous conviendrés, Monsieur, qu'elle n'a nul besoin d'être rajeunie.
Puisque vous me permettés de vous envoyer mes réfléxions, je vais m'occuper à les rédiger, pour pouvoir vous les faire parvenir vers la fin du mois; je n'ai pas besoin de vous prier, Monsieur, de rejetter toutes celles qui ne se trouveront pas d'accord avec les vôtres; je me flatte que vous ne me soupçonnerés pas d'y tenir encore. Lors que Vous les aurés condamnées. Il faut avoir votre supériorité pour consentir à écouter une voix aussi foible que La mienne; et pour oser vous la faire entendre j'ai besoin de me rapeller qui Moliere ne dédaignoit pas d'écouter quelque fois.
Je me félicite sur mon goût, Monsieur, puis qu'il s'accorde avec celui du sénateur de Candide, et par conséquent avec Le vôtre. Je n'ai jamais aimé Les châtrés; pas plus dans le rôle de César que dans celui d'une princésse malheureuse, qui, du moment qu'elle est ainsi défigurée, ne peut plus m'inspirer aucun intérest. Quoique la France soit L'Empire des Môdes, celle ci n'a pû encore s'introduire sur notre Théâtre, et ne s'y introduira jamais. Fiés vous à nos Dames françoises du soin d'exclure ces demi Méssieurs; elles donneront toujours la préférence aux basses tailles Les plus vigoureuses.
Je ferai tous mes efforts pour suivre vos conseils, puis que vous voulés bien consentir à m'en donner. Ainsi que vous, Monsieur, j'ai toujours été enchanté du récitatif de Lully, et je n'aurois jamais osé faire sur un ouvrage de lui, ce que j'ai tenté sur Thétis.
Si le récitatif françois n'est que la vraie déclamation nottée, qui mieux que vous peut me guider dans un art que vous possédés si souverainement? Je serois bien plus sûr encore de réussir, si vous me permettiés, avant que de commencer cet ouvrage d'aller en entendre Une Lecture de votre bouche; je puiserois auprès de vous, un feu bien plus pur que celui de Prométhée, et si je pouvois réussir à notter quelques uns de vos accents, mon succès ne seroit plus douteux.
Je vous porterois un coeur reconnoissant, et pénétré de vos bontés. Si les affaires et la santé de M. Thomas pouvoient lui permettre de m'accompagner, je serois plus hardy à entreprendre ce Voyage, qui auroit tant de charmes pour deux hommes remplis de vous, et de vos ouvrages.
Au reste, Monsieur, si vous voulés que je prenne quelqu'idée du jardin d'Eden, il faut bien que vous me permettiés d'aller voir vos bosquets. Si le Paradis terrestre est quelque part, ce ne peut être que dans les lieux où l'on peut sans cèsse vous voir et vous entendre.
J'ai L'honneur d'être avec les sentimens les plus respectueux, Monsieur, Votre très humble et très obéissant serviteur
Laborde