1725-06-27, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

Je vous envoierai la recherche de l'amitié aulieu de celle de la vérité, car je me soucie bien plus de l'une que de l'autre, et fais plus de cas de Tiriot mon ami que de Tiriot filosofe.
A l’égard de la robbe de chambre comment voulez vous que je vous l'aporte? Si je ne puis aller à la Riviere qu'après avoir apaisé le tiran du lieu par de l'argent, il n'y a pas d'aparence que je fasse le voiage. Je n'ai pas de quoy acheter ce que je voudrois acheter bien cher, le plaisir de vivre longtemps avec madame de Berniere et avec vous. Je suis obligé de m'acomoder àprésent avec les graveurs qui ne sont pas payés encore; ils ont consenti à ne toucher que la moitié jusqu'au débit de Henri quatre. Il est juste qu'un président à mortier en use encor plus noblement. En vérité lors que madame de Berniere me pressa de loger chez elle, lorsque j'y consentis malgré moy, lorsque je vous introduisis dans la maison, je ne m'attendois pas qu'un jour je serois traitté de la sorte, qu'on abuseroit du dérangement de ma petite fortune pour me tenir le poignard sur la gorge, qu'on ne daigneroit pas attendre l'impression de mon poème pour me faire payer quelques quartiers d'une pension très forte, que l'on n'entreroit point dans les dépenses nécessaires d'un apartement que je loue très cher, et qu'on me traiteroit comme on n'oseroit pas traitter un étranger pour qui on auroit un peu de considération. Si madame de Berniere sentoit cela comme elle le doit, si vous le lui faisiez sentir, comme je puis dire que vous le devez elle feroit rougir son mari d'une indignité si honteuse. Je sai faire entre elle et lui une juste différence mais quels doivent être mes sentimens lorsque me de Berniere qui a eü tant d'amitié pour moy me fait écrire que je ne vienne point chez elle sans donner de l'argent? C'est vous même qui me l’écrivez, vous qui sans moy ne conoitriez pas madame de Berniere. Pouvez vous soupçonner (comme vous me l'ecrivez) que je veuille venir à la Riviere pour épargner? Je n'aurois pu y passer que trois semaines, je n'y venois que parce que je l'aime, et je veux qu'elle sache distinguer ceux qui ne viendroient que pour elle, et ceux qui ne viendroient que pour leur commodité. En vérité vous m'avez écrit un[e] étrange lettre, mais il faut s'accoutumer à tout