1725-11-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre François Guyot Desfontaines.

La reine vient de me donner une pension sur sa cassette de quinzcent livres que je ne demandois pas; c'est un acheminement pour obtenir les choses que je demande.
Je suis très bien avec le second premier ministre, mr du Vernet. Je compte sur l'amitié de madame de Prie. Je ne me plains plus de la vie de la cour; je commence à avoir des espérances raisonables d'y pouvoir être quelquefois utile à mes amis. Mais si vous êtes encor gourmande, et si vous avez encor vos maux d'estomac et vos maux d'yeux, je suis bien loin de me trouver un homme heureux. S'il est vrai que vous restiez à votre campagne justqu’à la fin de décembre aiez la bonté de m'en assurer et de ne pas donner touttes les chambres de la Riviere. Les agrémens que l'on peut avoir dans le pays de la cour ne valent pas les plaisirs de l'amitié, et la Riviere à tous égards me sera toujours plus chère que Fontaineblau. Permettez moy d'adresser ici un petit mot à notre ami Tiriot.

Ne croiez pas mon chèr Tiriot que je sois aussi dégoûté de Henri quatre que vous le paroissez de Mariamne. Je viens de mettre en vers dans le moment feu Mr le duc d'Orleans et son sistème avec Las. Voiez si tout cela vous paroit bien dans son quadre et si notre sixième chant n'en sera point déparé. Songez qu'il m'a falu parler noblement de cet excez d'extravagance, et blâmer mr le duc d'Orleans sans que mes vers eussent l'air de satire.

Je dis en parlant de ce prince

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D'un sujet et d'un maitre il a tous les talens,
Malheureux touttefois dans le cours de sa vie
D'avoir reçu du ciel un si vaste génie.
Philippe garde toi des prodiges pompeux
Qu'on offre à ton esprit trop plein du merveilleux.
Un Ecossois arrive, et promet l'abondance,
Il parle, il fait changer la face de la France,
Des trésors inconnus se forment sous ses mains,
L'or devient méprisable aux avides humains,
Le pauvre qui s'endort au sein de l'indigence
Des rois à son réveil égale l'opulence,
Le riche en un moment voir fuir devant ses yeux
Tous les bien qu'en naissant il eut de ses ayeux.
Qui poura dissiper ces funestes prestiges.
etc.

Je croi que l'on ne pouvoit pas parler plus modérément du sistème, mais je ne sai si j'en ay parlé assez poétiquement. Nous en raisonnerons à ce que j'espère à la Riviere. La cour m'a peutêtre ôté un peu de feu poétique. Je viendrai le reprendre avec vous. Soiez toujours moins en peine de mon cœur que de mon esprit. Je cesserai plutôt d’être poète, que d’être l'ami de Tiriot.

Et vous mon cher abbé Desfontaines j'ai bien parlé de vous à mr de Frejus. Mais je sai par mon expérience que les premières impressions sont difficiles à effacer. Je n'ai point encor vu votre dernier journal. Je vous suis presque également obligé pour Mariamne et pour le héros de Gratien. Je suis fâché que vous soiez brouillé avec les révérends pères, mais puisque vous l’êtes il n'est mal de s'en faire craindre. Peutêtre voudront ils vous apaiser et vous feront ils avoir un bénéfice par le premier traitté de paix qu'ils feront avec vous. Je ne sais aucune nouvelle de mr l'abbé Bignon. Je serois bien fâché de sa maladie s'il vous avoit fait du bien.

Le pauvre st Didier est venu à Fontaineblau avec Clovis, et tout deux ont été bien bafouez. Il sollicita monsieur de Mortemart et l'importuna pour avoir une pension. Mr de Mortemart luy répondit que quand on faisoit des vers il en falloit faire comme moy. Je suis fâché de la réponse. St Didier ne me pardonnera point cette injustice de mr de Mortemart.

Il y a ici des injustices plus véritables qui me font seigner le cœur. Je ne peux pas m'acoutumer à voir l'abbé Raguet dans l'opulence et dans la faveur tandis que vous êtes négligé. Cependant n'aimez vous pas encor encor mieux être mr l'abbé des Fontaines que l'abbé Raguet?

Je présente mes respects au maître de la maison, à mr l'abbé d'Amfreville, a tutti quanti qui ont le bonheur d’être à la Riviere. Buvez tous à ma santé et vous madame la présidente soiez bien sobre je vous en prie.