1725-08-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marguerite Madeleine Du Moutier, marquise de Bernières.

Depuis un mois entier je suis entouré de procureurs, de charlatans, d'imprimeurs, et de comédiens.
J'ai voulu tous les jours vous écrire et n'en ai pas encore trouvé le moment. Je me réfugie actuellement dans une loge d'une comédienne pour me livrer au plaisir de m'entretenir avec vous pendant qu'on joue Mariamme et l'Indiscret pour la seconde fois: cette petite pièce fut représentée avant hier samedy avec assez de succez. Mais il me parut que les loges étoient encor plus contentes que le parterre. Dancour et Legrand ont acoutumé le parterre au bas comique et aux grossièretez, et insensiblement le public s'est formé le préjugé que des petites pièces en un acte doivent être des farces pleines d'ordures et non pas des comédies nobles où les mœurs soient respectées. Le peuple n'est pas content quand on ne fait rire que l'esprit. Il faut le faire rire tout haut, et il est difficile de le réduire à aimer mieux des plaisanteries fines, que des équivoques fades, et à préférer Versailles à la rue st Denis. Mariamne est enfin imprimée de ma façon, après trois éditions subreptices qui en ont paru coup sur coup. Je vous envoye un paquet de Mariamnes par le messager. Il y en a une reliée que je vous prie de mettre dans votre bibliothèque. Je vous suplie de donner les autres que je n'ai pas eu le temps de faire relier à mrs de Cideville et de Brevedent malgré leur goust pour les vers de monsieur Houdart. Vous donnerez les autres en mon nom aux personnes dont vous voudrez bien m'assurer la bienveillance. Comme je crois mr et madame de Lesau à la campagne je mets aussi une Mariamne pour eux ou plutôt pour monsieur votre neveu dans le paquet qui est au messager. Il est à votre adresse, aiez la bonté de l'envoyez retirer. Que ne pui-je vous aller offrir moy même Mariamne? Il faut que je sois bien maudit de dieu pour n'avoir vécü avec vous que quand j'ai eü la galle, et vous la goutte; et pour être loin de vous lors que nous nous portons bien tout deux. Mes maladies, et ma santé sont venues bien mal à propos.

Aureste ne croiez pas que je me borne dans Paris à faire jouer des tragédies et des comédies. Je sers dieu et le diable tout à la fois assez passablement. J'ai dans le monde un petit vernis de dévotion que le miracle du fauxbourg st Antoine m'a donné. La femme au miracle est venüe ce matin dans ma chambre. Voiez vous quel honneur je fais à votre maison et en quelle odeur de sainteté nous allons être. Monsieur le Cardinal de Noailles a fait un bau mandement à l'ocasion du miracle, et pour comble (ou d'honneur, ou de ridicule), je suis cité dans ce mandement. On m'a invité en cérémonie à assister au te deum qui sera chanté à notre dame en actions de grâce de la guérison de madame la Fosse. Mr l'abbé Couet, grand vicaire de son éminence, m'a envoyé aujourd'huy le mandement. Je lui ay envoyé une Mariamne avec ces petits vers cy.

Vous m'envoiez un mandement,
Recevez une tragédie
Et qu'ainsi mutuellement
Nous nous donnions la comédie.

Ah ma chère présidente qu'avec tout cela je suis quelquefois de mauvaise humeur de me trouver seul dans ma chambre et de sentir que vous êtes à trente lieues de moy. Vous devez être dans le pays de Cocagne. Mr l'abbé d'Amfreville avec son ventre de prélat et son visage de chérubin ne ressemble pas mal au roy de Cocagne. Je m'imagine que vous faittes des soupers charmants, que l'imagination vive et féconde de madame du Deffant, et celle de mr l'abbé d'Amfreville en donnent à notre ami Tiriot et qu'enfin tous vos moments sont délicieux. Mr le chevalier des Alleurs est il encor avec vous? Il m'avoit dit qu'il resteroit tant qu'il y trouveroit du plaisir. Je juge qu'il y demeurera long temps. Mille respects je vous en prie au maître de la maison. Je n'ai pas le temps d’écrire à Tiriot mais il faut qu'il m’écrive, lui qui n'a point de procez à soutenir, de comédiens à conduire, ny de comédies à corriger. Qu'il me mande de ses nouvelles, qu'il soit votre secrétaire, qu'il m'aprennent comment vont les projets qu'il avoit. Adieu ma chère reine, conservez moy toujours bien de l'amitié. Je pars incessament pour aller à Fontaineblau. Si j'y trouve un gite j'y ferai ma cour à la reine, si je ne suis point logé, j'irai à la Riviere Bourdet. Je ne donne la préférence sur vous qu’à Marie de Leksinski. Adieu, adieu.